
Dans leur dernier rapport, Médecins du monde et le centre Primo-Levi alertent sur la souffrance psychique des exilés qui arrivent en France.
La Journée mondiale des réfugiés est célébrée sous de bien étranges auspices. Le controversé projet de loi Asile et immigration vient d’entrer au Sénat, dix jours après que le gouvernement a refusé de tendre la main aux 629 rescapés de l’Aquarius, Dans le même temps, le centre de soins Primo-Levi et l’organisation Médecins du monde publient un rapport relatif à la santé psychique des exilés, en lien avec les violences subies à la fois lors de leur migration et en France.(...)
Le constat, émanant d’expériences de terrain de différents niveaux (assistants, psychologues, psychiatres, cliniciens, coordinateurs...), est accablant. Aux horreurs déjà subies dans les pays fuis et traversés (esclavage, viols, tortures) s’ajoutent des violences policières et institutionnelles. Delphine Fanget, chargée de plaidoyer de l’organisation Médecins du monde et membre du comité de rédaction du rapport, rend compte d’une « urgence de santé publique ».(...)
votre rapport montre que le calvaire continue en France...
Les situations sont différentes selon les villes : nous n’observons pas les mêmes schémas à Bordeaux, à Calais ou à Paris. Néanmoins, la première violence constatée est celle du non-accueil, lorsque les exilés se rendent compte qu’ils sont rejetés. Il est ensuite effarant de voir des choses qui sont de l’ordre du harcèlement et de la persécution policière, par exemple la destruction de matériel comme des tentes. À Paris, Porte de la Chapelle, les personnes qui arrivent à notre point de distribution nous demandent simplement de pouvoir dormir à côté de nous. Car la nuit, elles sont sans cesse réveillées par des policiers qui leur demandent d’aller ailleurs. On a l’impression que c’est uniquement dans l’objectif d’empêcher tout campement de se reconstituer. C’est une politique d’invisibilisation et d’épuisement.(...)
Les exilés connaissent des souffrances psychiques, des troubles psychotraumatiques. Le premier de leurs maux est l’extrême fatigue, l’épuisement total. Beaucoup de personnes nous demandent des somnifères parce qu’elles ne peuvent pas dormir. Ce que l’on appelle le syndrome de reviviscence leur rappelle les événements qui ont été vécus, et des flashs reviennent dès qu’elles s’endorment. Il faut garder à l’esprit que leur principale préoccupation, c’est la survie. Ces violences peuvent aussi provoquer un repli sur soi ou mener à l’alcoolisme, ce qui est constaté chez des personnes qui n’en souffraient pas auparavant(...)
Jusqu’où cela peut-il aller ?
Jusqu’au suicide. Les idées suicidaires, et parfois même les tentatives, sont récurrentes. Il y a peu de temps, dans notre salle de soins, une personne qui nous parlait de suicide a « explosé » et a été assez difficile à contenir. D’autres nous disent qu’elles sont tellement épuisées, en manque de ressources vitales et traumatisées par un tel déni d’existence qu’elles finissent par baisser les bras.(...)
Est-ce que cette souffrance des exilés se répercute sur les « aidants » ?
Nos médecins parlent d’un « effet radioactif » des troubles psychotraumatiques. Nous ne sommes pas dans une société close, beaucoup de gens se mobilisent pour aider les exilés. Or, ce n’est pas rien d’écouter des gens en pleurs raconter les violences extrêmes, inhumaines, dont ils ont été victimes. On ne peut pas être insensible et il est même possible, par ricochet, d’être impacté. C’est difficile, pour les professionnels et encore plus pour les bénévoles. Certains ont, à leur tour, des problèmes de sommeil, nous disent souffrir de leur impuissance.
Votre rapport montre aussi que la situation empire. Pourquoi ?
D’abord parce que nous sommes face à une politique qui se durcit, avec un gouvernement qui a des pratiques de plus en plus intrusives.(...)
Il faut que les pouvoirs publics favorisent les financements de formations, soutiennent les structures de prises en charge, les équipes mobiles « psychiatrie et précarité ». Il faut aussi travailler avec l’interprétariat, peu visible mais sans lequel nous ne pourrions pas faire grand-chose. Pour les exilés, sont nécessaires de bonnes conditions matérielles d’accueil, mais aussi une procédure de demande d’asile facilement identifiable, qui ne met pas la suspicion au cœur du processus. Ils ont déjà des difficultés à raconter leur histoire, et sont sommés de le faire devant un tribunal en donnant tout un tas de détails ! Nous devons tenir compte des spécificités psychotraumatiques dans les procédures de demande d’asile, qui mettent en difficulté les personnes. Sans faire une échelle de priorités, le respect de l’accueil des arrivants et des droits fondamentaux nous paraissent déterminants.