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l’Humanité
Martin Winckler : « La révolution enclenchera un renouvellement du système de soins en France »
Article mis en ligne le 13 juin 2020

Dans son dernier roman, l’École des soignantes (P.O.L), l’écrivain et médecin généraliste retraité imagine un hôpital idéal, humaniste et féministe, dans lequel les rapports de hiérarchie et la course à la rentabilité seraient abolis. La crise sanitaire liée au Covid-19 pourrait être l’occasion de réaliser cette utopie.

Martin Winckler. Cette crise est une occasion de dire que ces personnes ne veulent plus et ne peuvent plus travailler comme ça. Le grand public mais aussi les infirmières et les aides-soignantes elles-mêmes ont réellement pris conscience des conditions dans lesquelles elles exercent ce travail essentiel. Désormais, les soignantes doivent faire leur révolution. Ce sera difficile, mais c’est une révolution qui enclenchera un renouvellement de tout le système de soins en France. Et peut-être même au-delà, cela peut créer un appel d’air et amorcer de grands changements dans la société entière. Car la santé, parce qu’elle concerne tout le monde, les jeunes, les vieux, les hommes, les femmes, peut être un formidable vecteur de changements. Si, dans le domaine de la santé, les soignantes s’arrêtent de travailler pour dire, « désormais, l’hôpital sera géré collectivement, en prenant en compte nos revendications et dans l’intérêt des patients », et que ça fonctionne, le modèle pourra être répliqué dans d’autres secteurs. D’autant que je suis persuadé que ce modèle, s’il est construit en bonne intelligence, sera fiable, viable et même rentable. (...)

L’hôpital devrait être géré par l’ensemble des professionnels de santé, de différents niveaux, de différentes compétences et pas seulement les administrateurs et les médecins. Ça veut dire que chacun doit avoir son mot à dire, expliquer ce qu’il fait, ce qu’il ne parvient pas à faire et pourquoi. Quand une soignante explique qu’il est impossible de s’occuper correctement de ses 15 malades parce qu’elle n’a pas le temps ou qu’elle manque de matériel, eh bien, il faut pouvoir embaucher du personnel dans ce service ou acheter les équipements nécessaires. C’est indispensable, et les administrateurs, s’ils existent toujours, ne doivent pas pouvoir le refuser pour des raisons pécuniaires. Ça paraît évident, mais on est tellement loin de ce modèle-là aujourd’hui. C’est pour ça qu’une révolution est nécessaire. Et elle sera profitable pour tous, soignantes comme soignés. Toutes les études de psychologie sociale montrent bien que, quand on s’occupe bien des gens avec qui on travaille, ceux-ci travaillent plus, mieux, et apportent des solutions aux problèmes collectifs.

« Le capitalisme a une pensée sexiste. Si on la casse, alors le capitalisme ne pourra pas survivre. » (...)

« Le problème, c’est que le système de santé est de plus en plus considéré comme un marché et un service qui doit être rentable. » (...)

La norme, pour un médecin, c’est de demander aux soignantes de faire les examens qu’il juge les plus pertinents pour lui, pour obtenir le plus d’informations utiles. Mais sans se demander si c’est absolument nécessaire ni ce que ça implique comme souffrances supplémentaires pour le patient ou comme charge pour les infirmières. Lorsqu’on a connu une expérience d’aide-soignant, on se rend compte que, pour une personne très malade, qui a 40 °C de fièvre, il ne vaut mieux pas la déplacer pour faire une radio, mais trouver une autre solution. Il faut réfléchir pour le patient, lui demander s’il est d’accord, si ça ne l’angoisse pas, puis on décide avec lui, et avec les soignantes, ce qui est le plus adapté pour le malade. Pas pour le médecin. En France, la formation de médecine est élitiste et sectorisée, on forme des médecins qui peuvent faire des grands diagnostics et prescrire des traitements compliqués. Très bien, mais, ce qui doit primer, c’est l’humain. Et pour une médecine plus humaine, il faut que les médecins aient conscience des conséquences de leurs décisions, des souffrances, des sentiments, des ressentis et des peurs des patients. La formation médicale est faite de telle façon que les médecins n’écoutent personne, sauf leurs maîtres et les livres qu’on leur a demandé d’apprendre par cœur. C’est ça qui a permis à l’hôpital de devenir une institution capitaliste. (...)

Tant que l’hôpital est hiérarchisé de cette façon, son caractère capitaliste continuera à s’exprimer, donc les soignantes vont continuer à travailler dans des conditions déplorables et les gens seront mal soignés. (...)

les deux grands principes qui doivent dicter l’organisation de l’hôpital : l’égalité et le respect des besoins exprimés par les personnes soignées. (...)

De plus, il faut du temps pour discuter avec les malades et les comprendre ; or, le système actuel ne le permet pas. Tout est lié : la formation des médecins, le mode d’organisation de l’hôpital, les rapports entre soignant et soigné, les rapports entre les différents professionnels de santé… Tout doit être repensé, c’est pour ça qu’une révolution est indispensable.