
Sylviane Agacinski, dans sa tribune du 3 février, fait remarquer à juste titre que la procréation médicalement assistée (PMA) telle que pratiquée en France nie la personne du donneur, l’identifie trivialement à quelques cellules, l’objet de son don, et fait passer les parents pour des géniteurs. Elle dénonce un peu plus loin une pratique qui commence à se banaliser, la commande de gamètes sur Internet sans voir que c’est notre système actuel qui précipite les futurs parents dans cette voie. Quand la prohibition se tient en lieu et place d’un encadrement légal éthique et protecteur, il ne reste plus que les marchés parallèles pour réaliser un désir d’enfant aussi puissant chez les couples de même sexe que chez les autres.
Mais elle a tort de rapprocher la PMA, telle qu’envisagée pour les couples qu’elle appelle "classiques" de celle des couples de même sexe. En effet, dans ces derniers, la tentation de passer pour avoir procréé sans l’aide d’un tiers n’est pas jouable. S’il y a bien des familles PMA où le donneur est évoqué ce sont les familles homoparentales. Si des couples de femmes témoignent ne pas "vouloir d’un père" pour construire leur famille, cela ne veut pas dire qu’elles nient l’existence d’un géniteur. (...)
Géniteur et père ne sont pas synonymes. Ces couples de femmes distinguent clairement paternité et procréation et leur conception de la paternité fait honneur aux pères. Elles les considèrent comme des personnes qui s’impliquent au quotidien auprès de leurs enfants et ne font pas que contribuer à donner la vie. Elles ne nient pas l’existence du géniteur mais elles ne veulent pas de lui comme père dans la vie quotidienne familiale. (...)
Même si notre droit cherche toujours à faire coïncider procréation et filiation, celle-ci est d’abord et toujours une parole d’engagement. La présomption de paternité n’est rien d’autre qu’un engagement à l’avance à prendre pour enfants ceux qui naîtront dans le cadre des noces, nul besoin que le père soit réellement le géniteur. La reconnaissance est l’engagement d’un homme à prendre un enfant pour fils ou fille, peu importe qu’il en soit ou non le géniteur. L’adoption enfin est un engagement pris devant le juge. Il y aurait peu à faire pour permettre une filiation de deux parents de même sexe et de manière générale faire place à la pluralité des formes familiales. Ce serait fonder notre droit de la famille sur la responsabilité et l’engagement parental plutôt que sur la confusion entre sexualité, procréation et filiation. (...)
Une filiation homoparentale ferait sauter ces montages de notre culture procréative car les parents de même sexe ne cherchent pas à passer pour les géniteurs de leurs enfants. Cette culture procréative est héritée des principes naturalistes du droit canonique pour lequel sexualité, conjugalité et procréation devraient coïncider. Le Vatican interdit en effet la procréation en dehors des rapports sexuels (Donum Vitae, 1997 ; Charte des personnels de la santé, 1995). Notre droit devra s’affranchir de ce modèle naturaliste pour tenir compte de l’évolution des configurations familiales et des progrès scientifiques en matière de procréation assistée. Fonder la filiation sur l’engagement parental plutôt que sur la nature, permettrait de protéger tous les enfants, quel que soit leur environnement familial. L’ordre fondé sur la nature serait remplacé par un autre ordre : celui de la responsabilité et de l’engagement.