
« Il y a quatre ans, jamais je n’aurais imaginé que serions encore là aujourd’hui, à nous battre pour obtenir la justice et la vérité dans la mort de mon frère », a déclaré Assa Traoré, sur le parvis de la mairie de Persan, devant un parterre de journalistes. (...)
Dans la foule, de nombreux manifestants portaient des t-shirts en hommage à des victimes violences policières. « Chaque année, la liste s’allonge, et nous voyons de nouveaux noms fleurir sur de nouveaux maillots », a déploré un ami d’Adama Traoré. Les familles de Lamine Dieng, Sabri, Gaye Camara, Cédric Chouviat ou encore d’Ibrahima Bah, morts après avoir rencontré les forces de l’ordre, ont défilé en tête de cortège et ont pris la parole. (...)
Après un temps de recueillement, le cortège s’est élancé au niveau de la gendarmerie de Persan, où la mort d’Adama Traoré a été déclaré moins de deux heures après sa course-poursuite avec les gendarmes. Dans le cortège, majoritairement masqué pour prévenir toute propagation du Covid-19, différents profils de manifestants se côtoyaient : des jeunes, des moins jeunes, des habitants des quartiers populaires, des Gilets jaunes, des Gilets noirs - mouvement d’exilés en lutte pour des papiers et des logements pour toutes et tous -, des élus de gauche, comme Mathilde Panot (LFI) ou Esther Benbasse (EELV), des militants écologistes...
« Cette marche est un trait d’union nécessaire entre toutes les luttes qui visent à balayer les inégalités raciales, sociales et environnementales », s’est réjouie Priscilla Ludosky, l’une des initiatrices du mouvement des Gilets jaunes et co-autrice de Ensemble, nous demandons justice - Pour en finir avec les violences environnementales (éd. Massot, 2020). Rencontrée par Reporterre à l’avant du défilé, elle a estimé que « ce qui nous unit, c’est le même ennemi : un Etat coupable d’aggraver ces inégalités et d’accélérer le changement climatique ».
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Une cinquantaine de membres du mouvement écologiste Alternatiba, coorganisatrice de la marche, sont venus en car de Paris. Ils ont défilé avec une banderole « Génération Adama, génération climat : On veut respirer ». « Ce que le mouvement climat fait là ? J’avoue ne pas voir de lien évident entre les violences policières et l’écologie, mais leur solidarité est la bienvenue ! », s’est réjouie Houda, 23 ans, habitante de Saint-Denis. « Plus on est, mieux c’est ! a renchéri Yacouba, livreur pour une plateforme en ligne, qui se définit comme proche d’une famille de victime de violences policières. Quand on parle de l’écologie, on voit souvent des blancs de centres-villes, qui subissent moins de violences... Après,on sait que le changement climatique nous concerne tous, c’est juste qu’on est concentrés sur des problèmes plus immédiats, par nos ascenseurs bloqués. Et finalement, c’est vrai que l’écologie concerne aussi notre quotidien : on a peu de parcs, nous vivons dans un environnement plus dégradé. » (...)
Le message n’est pas compris par tout le monde « parfois au sein même du mouvement climat », a dit l’activiste Gabriel Mazzolini. Les militants d’Alternatiba ont affirmé avoir reçu, les jours précédant la marche, une vague de messages d’incompréhension - voire d’insultes - pour avoir manifesté leur soutien au comité La vérité pour Adama. « Le sujet est clivant, mais c’est tant mieux : ça nous permet de clarifier notre vision de l’écologie », a estimé Teïssir Ghrab, militante d’Alternatiba, qui se considère « à la fois de la génération climat et de la génération Adama, celles qui font trembler le monde, car elles appellent des changements profonds ». Elle et ses camarades étaient nombreux lors des précédents rassemblements contre les violences policières et le racisme. (...) .
Peu après le pont, affublé d’un t-shirt orange, Youcef Brakni, membre du comité La vérité pour Adama, est venu marcher avec des militants d’Alternatiba. Il voit d’un très bon oeil les ponts qui se nouent entre les mouvements antiracistes et écologistes.
« Nous n’avons pas oublié qu’en mars 2019, à l’occasion de la « Marche du siècle » pour le climat, Alternatiba avait laissé Assa Traoré prendre la parole devant les manifestants, place de la République, a-t-il rappelé. C’était un moment important, parce qu’on a pu parler à un public qui était au courant des problèmes de fin du monde, mais pas forcément des problèmes de tous les jours, de ceux que l’on subit quand on vit dans un quartier populaire, étouffé par les inégalités et par des plaquages ventraux. L’écologie, ce n’est pas qu’un truc qui concerne les blancs des centres-villes. C’est nous qui vivons collés aux bretelles d’autoroute. Nous demandons une écologie populaire et antiraciste. »
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A l’arrière du cortège, Malcom Ferdinand, docteur en philosophie à l’université de Paris-Diderot et auteur d’Une écologie décoloniale (éd. Seuil, 2019), s’est dit « très satisfait que des voix, historiquement mises de côté au sein du champ de l’écologie, se libèrent ». « On s’était habitués à ce que les gens qui avaient la légitimité à parler d’écologie ne nous ressemblent pas », a-t-il regretté.
« L’écologie pose la question "comment veut-on habiter ensemble sur Terre ? Or, si l’on se concentrait uniquement sur des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, nous pourrions obtenir un monde absolument détestable. Si on ne lutte pas dès aujourd’hui pour garantir la justice et la dignité aux personnes non blanches, la société de demain demeurera raciste. Mais quand l’écologie se tourne vers les quartiers populaires, en revanche, le projet de société qu’elle porte s’enrichit. »
À ses côtés, Renda Belmallem, chercheuse à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), a estimé que « cette marche est le début de quelque chose de grand, un moment dans l’histoire de l’écologie où elle prend un virage de politisation »
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Samedi, devant les nombreux portraits d’Adama Traoré déployés à Beaumont-sur-Oise, se tissait une convergence des espoirs.
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– Conférence : Écologie et quartiers populaires, territoires en lutte
Le combat décolonial et contre les violences policières peut-il être un pilier dans la lutte contre le réchauffement climatique ? L’écologie est-elle une solution à certains problèmes des quartiers populaires ? Le mercredi 15 juillet à La Base, lieu associatif parisien, militants écologistes et militantes des quartiers populaires ont esquissé les fondements d’une lutte commune.
Les invité·es :
– Assa Traoré du collectif La Vérité Pour Adama
– Jade Lindgaard journaliste spécialiste des questions climatiques à Médiapart,
– Malcolm Ferdinand philosophe et auteur du livre Une Ecologie Décoloniale (Seuil),
– Fatima Ouassak co-fondatrice du réseau Front de mères
– Teïssir Ghrab porte-parole d’Alternatiba.
Une conférence animée par Renda Belmallem chercheuse à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales).
– A Beaumont, la « génération Adama » redonne une jeunesse à la lutte
Pour la quatrième année consécutive, plusieurs milliers de personnes ont répondu ce samedi à l’appel du comité « Justice et vérité pour Adama ». Sur les lieux de vie et de mort d’Adama Traoré, une foule jeune et déterminée a appelé à la tenue d’un procès public pour déterminer les circonstances et les responsables du décès du jeune homme en 2016. Reportage. (...)
le nombre de jeunes visages est frappant. C’est la « génération Adama » qui est là, celle de ces adolescents et de ces jeunes adultes informés et politisés grâce aux réseaux sociaux, aujourd’hui mobilisés dans la rue. « Contre les violences policières, on a tous une arme maintenant dans nos poches : c’est notre téléphone, affirme Barbe, 22 ans. On peut filmer et relayer partout. »
Avec son amie Elodie, elle s’est déplacée pour ses frères, noirs, « qui ont déjà eu des conflits avec la police » et pour ses futurs enfants : « On est les parents de demain et on se bat aussi pour qu’ils n’aient plus peur comme nous ». Les deux jeunes femmes rêvent à haute voix d’une génération moins raciste que la précédente. Leurs cris « On n’oublie pas, on pardonne pas » se mêlent à ceux des autres manifestants.
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Ils sont aussi venus pour elle, pour l’écouter et la prendre en photo, ces jeunes de quartiers populaires en quête de modèle et de discours politique. Assa Traoré est devenue une icône, en une du magazine du Monde ce mois-ci.
La jeune maman de 35 ans a abandonné son poste d’éducatrice spécialisée pour se consacrer à cette lutte et faire du nom de son frère un symbole pour « tous les autres Adama Traoré » (...)