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Malgré les lobbies, un Parlement européen utile à l’écologie
Article mis en ligne le 21 mai 2019

Dimanche, les Européens éliront leurs 705 représentants au sein de l’Union. Mais, quel est le rôle des eurodéputés, notamment en matière écologique ? Reporterre aide à y voir plus clair dans cette terre de lobbies, de jeux politiques et de pouvoir.

Que vous vous promeniez dans une zone Natura 2000 ou que vous achetiez un véhicule moins polluant qu’auparavant, c’est grâce à l’Union européenne. Les limites de pollution aux particules fines, la protection des cours d’eau ou de certaines espèces d’oiseaux, c’est encore l’Europe. « Plus de 80 % des dispositions du Code de l’environnement viennent de directives ou de règlements européens », souligne l’avocat Arnaud Gossement, spécialiste du sujet.

« Sur l’écologie et le climat, tout se joue à Bruxelles [1] », confirme Karima Delli, eurodéputée écologiste et candidate aux élections du 26 mai. L’environnement fait en effet partie des « compétences partagées » : l’Union européenne est prioritaire sur les États pour légiférer. (...)

Le Parlement européen partage en effet le pouvoir législatif avec le Conseil européen, réunissant les gouvernements des États membres. Pour le meilleur, et pour le pire : « L’autorisation du glyphosate, le paquet ferroviaire ou les traités de libre-échange sont dans les compétences des parlementaires européens », rappelait Manon Aubry, tête de liste des « insoumis » aux élections européennes, dans un entretien à Reporterre. À bien des égards, le libéralisme de l’Union européenne paraît effectivement contradictoire avec l’urgence écologique.

Malgré tout, la plupart des acteurs s’accordent à le dire : « Sans le Parlement européen, nous n’aurions pas de progression du droit de l’environnement », dit Me Gossement. « C’est une institution qui tient tête aux États, et qui est très souvent bien plus progressiste que le Conseil ou la Commission sur les questions écologiques », confirme Neil Makaroff, du Réseau Action Climat (RAC). (...)

Le projet de redevance pour les poids lourds, porté par des députés, dont Mme Delli, est ainsi pour le moment bloqué par les représentants des gouvernements. Idem pour le glyphosate, dont la réautorisation pour cinq ans a été permise par une décision de l’Allemagne. (...)

la directive sur les énergies renouvelables, adoptée en novembre 2018, est moins ambitieuse qu’espéré : « On n’est pas allé aussi loin que ce qu’on aurait pu et dû, affirme Neil Makaroff. Une part de 32 % dans le mix énergétique, ça reste faible. » À qui la faute ? « Beaucoup de pays, ceux d’Europe de l’Est mais également l’Allemagne, et même la France, se sont montrés très réticents ».

La Commission peut aussi jouer la frileuse. C’est ce qui s’est passé sur la réduction des émissions de CO2 pour les véhicules. (...)

Le poids de ces groupes d’intérêts, notamment au sein de la Commission, explique en partie l’insuffisance des ambitions environnementales. « Certains textes de la Commission sont purement et simplement formulés par les industriels, dit Frédéric Manach. Pour 30.000 fonctionnaires à Bruxelles, il y a 30.000 lobbyistes. » Difficile pour les ONG de lutter à armes égales contre Bayer-Monsanto ou Volkswagen. « Bloom est absent de la Commission, car nous n’avons pas les moyens humains et financiers d’assurer une présence à l’année, et nous préférons nous concentrer sur l’information des parlementaires », indique M. Manach. Même son de cloche du côté du Réseau Action Climat, qui envoie deux représentants, dont Neil Makaroff, à Bruxelles, « quand certaines entreprises automobiles peuvent en envoyer quarante », selon le chargé de mission. Valentine Tessier, avocate en droit de l’environnement, constate cependant de nettes améliorations : « Ont été mis en place les Green10, qui rassemblent les 10 plus grandes ONG à vocation environnementale, afin d’aider les institutions européennes dans l’élaboration des politiques publiques, explique-t-elle. Ainsi, les lobbies environnementaux sont également très présents à Bruxelles, ils permettent d’apporter un équilibre dans la défense de l’intérêt général. » (...)

« Les eurodéputés sont souvent à la manœuvre pour dénoncer les pressions de groupes économiques », fait observer Arnaud Gossement.

Le Parlement n’est pas non plus tout vert dans cette histoire. Nombre de députés adoptent des positions anti-environnementales, comme l’a montré notamment l’Observatoire des élus pour le climat, porté par le RAC. « Les partis de droite et d’extrême droite, et dans une moindre mesure les centristes du Modem ou d’En marche, se sont majoritairement opposés aux mesures de transition écologique les plus ambitieuses », constate M. Makaroff. Un frein que déplorait Yannick Jadot dans un entretien à Reporterre il y a quelques semaines (...)

Reste qu’une des principales raisons pour lesquelles la cause écologique ne progresse pas assez vite n’est pas à chercher du côté de l’Union européenne, mais des États eux-mêmes. (...)

Les pays peuvent être condamnés, y compris avec des sanctions financières, en cas de non-transposition ou de mauvaise transposition. Ainsi la France a été maintes fois mise en cause par la justice européenne : récemment, c’est sur les biocarburants, l’efficacité énergétique, et la qualité de l’air que nous avons été épinglés. Mais « ce mécanisme reste peu efficace, constate Lucas Globensky dans une note rédigée pour La Fabrique écologique, car trop long, avec des États membres trop peu mis en cause et des sanctions trop rares ».

Selon lui, les pays traîneraient des pieds à cause, entre autres, d’un manque de financements, les fonds européens étant limités. (...)

Autre enjeu essentiel auquel devront se confronter les futurs élus, la réforme de la politique agricole commune (PAC). « L’UE a jusqu’ici été très lente pour modifier son approche vers une agriculture plus écologique », dit Lucas Globensky. « Les neuf milliards d’euros d’argent public qui tombent en France tous les ans doivent servir à soutenir ceux qui ont fait la conversion au bio et surtout à aider tous les autres à se convertir », soutenait également M. Jadot.

Outre le pouvoir législatif et budgétaire, les députés peuvent mener des commissions d’enquête comme celle sur le Diesel Gate ou l’évaluation des pesticides. Ils sont également d’intéressants pourvoyeurs de fonds pour leurs partis nationaux. (...)

In fine, la balance écologique pencherait donc plutôt du côté du Parlement européen. Tout en admettant un certain nombre de limites, Neil Makaroff veut y croire : « Pour gagner la bataille climatique, ce n’est pas à 65 millions de Français qu’on y parviendra, mais à 500 millions d’Européens », dit-il. (...)