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Malgré le chômage et la pauvreté, une ancienne ville minière devient un modèle de transition écologique
Article mis en ligne le 21 novembre 2019
dernière modification le 20 novembre 2019

Malgré le chômage et la pauvreté, une ancienne ville minière devient un modèle de transition écologique

A Loos-en-Gohelle, dans le Pas-de-Calais, l’équipe municipale tente d’ouvrir un nouvel horizon écologique et social pour les habitants, avec une politique volontariste dans les domaines de l’eau, de l’énergie ou des pesticides. Premier volet de notre dossier de deux reportages. (...)

« Être opprimé par les capitalistes, ici, on sait ce que c’est. » Jean-François Caron est maire écologiste depuis 2001 de la commune de Loos-en-Gohelle, dans la banlieue de Lens (Pas-de-Calais). Depuis son bureau, on aperçoit les immenses terrils qui se dressent autour de cette ville de 6650 habitants, rappelant son passé minier. Le capitalisme y a effectivement laissé de multiples cicatrices.

Dans les années 1960, au plus fort de la production de charbon, 5000 mineurs descendaient quotidiennement « au fond ». En 1986, le dernier puits de Loos a fermé, laissant derrière lui son terrible héritage : de l’eau et des terres polluées, du chômage, des délocalisations en chaîne, des paysages détruits, un sol affaissé de 15 mètres [1]... Et la silicose, une maladie qui ronge les poumons, provoquée par l’inhalation de particules de poussières de silices dans les mines [2]. « Les pauvres sont toujours dans des territoires les plus frappés sur le plan environnemental », poursuit le maire. (...)

« La question sociale est tellement prégnante qu’elle occupe tout l’espace. » 20 % de la population à Loos a un revenu inférieur au seuil de pauvreté et 15 % sont au chômage. L’élu vert, avec sa liste d’union de la gauche, a pourtant été reconduit à une large majorité lors des dernières municipales. Sa commune est devenue une référence en matière de transition écologique. « La gigantesque force que nous avons ici, c’est que nous sommes confrontés à toutes les crises à leur intensité maximale. » Une force qui irrigue aussi les alentours.

« On ne devrait pas entendre parler de cette commune. Elle est cinq fois plus petite que notre ville », confie un habitant de Lens. Mais Caron parvient à embarquer avec lui des élus qui ne sont pas de son camp. On a besoin de maires comme ça qui ont une vision. Il est écolo et il ne lâche rien ! » (...)

En 2012, Jean-François Caron obtient l’inscription des terrils (les collines artificielles construites par accumulation de résidu minier) au patrimoine mondial de l’Unesco. « Tout cela a participé de notre processus de recherche de dignité. C’est une thérapie pour nous », affirme l’actuel maire. « Quand les terrils ont obtenu l’inscription, des tas de gens ont pleuré, se souvient une habitante. Ça a restauré de la fierté ! » (...)

Récupération d’eau de pluie, « zéro phyto », panneaux solaires

Jean-François Caron est d’abord élu conseiller municipal en 1995, et prend en charge le plan d’occupation des sols. Que faire des terrains libres ? Où et quoi construire ? Il adresse des questionnaires à la population, anime des réunions publiques, rencontre des acteurs de terrains, des experts... Ce diagnostic fait émerger 100 idées pour l’avenir, qui vont faire de Loos un modèle de transition écologique et sociale.

Priorité des priorités : l’eau. « Elle était si polluée qu’il fallait agir. Non seulement elle nous coûtait très cher, pour la rendre propre à la consommation, mais c’était l’une des pires de France. » Première action concrète : récupérer l’eau de pluie pour les besoins de la ville, comme l’arrosage des espaces publics. « Nous avons actuellement environ trois semaines d’autonomie », explique Julien Perdrigeat, le directeur de cabinet du maire. Une politique « zéro phyto », sans pesticides chimiques, est également menée, contribuant à l’amélioration de la qualité des eaux.

Que faire du toit de l’église, dont les tuiles s’envolent à chaque tempête ? Elle est la première en France à être équipée de panneaux photovoltaïques. 200 m2 de panneaux solaires y sont installés en 2013. Cela permet à la municipalité de revendre l’électricité produite pour quelques milliers d’euros (...)

Une facture énergétique divisée par dix pour les locataires HLM

La fermeture des mines marque la fin du charbon – et donc du chauffage – gratuit. Et laisse des maisons ouvrières mal isolées, de véritables « passoires thermiques ». « Leurs occupants n’arrivaient plus à se chauffer, raconte Jean-François Caron. J’ai vu des centaines de cas de précarité énergétique. » Alors que les affaissements conduisent à la démolition de 1100 logements de mineurs, Loos impose l’éco-construction dans les appels d’offre en 1997. La même année, des maisons de mines sont rénovées en suivant des critères « haute qualité environnementale » (HQE).

La ville prend une autre mesure inédite : l’interdiction du chauffage électrique pour toute nouvelle construction ou réhabilitation de son parc social ! Une telle interdiction ne peut se traduire dans les textes, mais le maire fait passer le mot aux promoteurs et bailleurs. « A chaque fois qu’un bailleur social venait me voir, je disais : "Si vous faites du chauffage électrique, allez ailleurs qu’à Loos" », précise Jean-François Caron.

Et ça marche. Depuis vingt ans, plus personne ne propose ce type de chauffage à la municipalité. Une excellente isolation, des triples vitrages ou des pompes à chaleur remplacent les énergivores convecteurs. Loos-en-Gohelle compte aujourd’hui 250 logements sociaux éco-conçus, soit un tiers de son parc social. Des habitants, dont une bonne partie vit avec le Smic, voient leur facture de chauffage divisée par dix par rapport à leur ancien logement (...)

Une politique qui bouscule habitants, administration et élus

Devenue place forte de l’éco-construction, Loos-en-Gohelle accueille désormais nombre d’expérimentations. Ce qui entraine parfois quelques ratés, autour de la gestion des nouveaux chauffages à accumulation par exemple. « C’est très simple mais il faut l’expliquer aux gens. Je doute que le bailleur social, dès qu’il y a un changement de locataire, le fasse... » C’est bien la question du changement d’échelle qui est posée, mais aussi de l’évolution des consciences et des pratiques. (...)

Formations, dispositifs d’écoute entre élus ou chefs de services et espaces de réflexion collective ont été mis en place pour prévenir les burn out « Cette maïeutique n’est pas visible, prend énormément de temps, mais est structurante si l’on veut assumer la radicalité des transformations et pas seulement la radicalité des propos », estime l’édile. Là où les choses avancent, il y a des personnes motivées, mais également une intelligence collective.