
Un jeune homme a eu la main droite arrachée par l’explosion d’une grenade GLI-F4, mardi sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Les circonstances de cette blessure restent floues. Sur la Zad, l’émotion est intense.
Trois heures après le drame, la Zad est sous le choc, oscillant entre rage et abattement sans trop d’information précise sur les circonstances qui ont laissé ce zadiste mutilé sur le carreau. On l’a su très vite, il a eu une main arrachée par une grenade GLI-F4. Son nom ? Personne ne le sait encore. Depuis, des zadistes découvrent qu’il est originaire de Marseille, retrouvent un de ses amis proches, pour qui cette idée de ramasser une grenade pour la relancer ne cadre pas du tout avec les comportements de son pote. La famille est prévenue. En prenant soin de demander à la victime ce qu’elle veut faire savoir des circonstances et de ses intentions.
Sur l’affrontement qui a valu à ce zadiste de perdre la main droite, voici les premiers éléments d’information.
Quand le tir de grenade l’a atteinte, la victime était auprès d’un passage en creux entre deux champs, cernée de haies, face à la forêt de Rohanne, entre Bellevue et La Chateigne. Les gendarmes encerclaient la forêt pour permettre aux camions de déblaiement de retirer les matériaux des décombres. C’était dans un moment de relative accalmie, après un affrontement plus intense. Quelques cailloux, pas plus, vers les gendarmes mobiles qui décident de dégager le groupe d’une trentaine d’opposants. Le ministère de l’Intérieur en a vu cinquante, selon son communiqué : « Une cinquantaine d’opposants radicaux cagoulés se sont attaqués aux forces de l’ordre en leur jetant notamment des cocktails Molotov et des projectiles. »
Le lieutenant-colonel Philippe Marestin, officier presse de la gendarmerie nationale, a apporté quelques précisions par téléphone à Reporterre
(...) Les gendarmes mobiles ont tiré du gaz lacrymogène — grenades lacrymogènes instantanées de classe F4 (GLI-F4), qui combinent à la fois un effet sonore, un effet de souffle et un effet lacrymogène — pour pouvoir dégager cette zone. L’un des opposants a ramassé une grenade au sol, et lorsqu’il a ramassé la grenade au sol, la grenade lui a explosé au niveau de la main. Donc, il a été secouru rapidement, médicalisé, puis évacué par voie routière sur le centre hospitalier de Nantes. Il était aux alentours de midi. Le parquet de Saint-Nazaire a saisi la section de recherche de Nantes pour faire la lumière sur les circonstances de ces blessures. »
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Les habitants de la Zad font entendre un autre son de cloche. « Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y avait pas de cocktail Molotov, assure à Reporterre un membre de ce groupe. C’est une grenade, ou plusieurs, qui a mis le feu au taillis. Il faut même ajouter que, quand ce bord du bois a cramé, c’est nous qui avons été chercher deux extincteurs à Bellevue. Mais comme les flics tenaient le bout de forêt en feu, il était impossible de passer pour l’éteindre. » Après négociations, les extincteurs ont été fournis aux gendarmes vers 14 h, mais cela n’a pas suffi à éteindre les flammes.
À l’accueil de la ferme de Bellevue, à 400 mètres du lieu où est tombée la victime, un petit cahier avec des surlignages en jaune a enregistré les heures où l’information est arrivée : « 12 h 23 : Une personne blessée traînée hors de zone au nord. 12 h 34 : Une autre personne s’est fait embarquer. »
Radio Klaxon, la voix de la Zad sur les ondes, annonce à 11 h52 « un blessé grave, demande de soutien urgent Médics entre Bellevue et la Chateigne » ; puis à 15 h 10, « la personne qui a été blessée à la main selon nos sources a voulu ramasser la grenade pour la repousser et laisser passer ses camarades et elle a été plaquée au sol par la gendarmerie, c’est à ce moment exact que la grenade a explosé ».
Que s’est-il passé à l’orée de ce champ ? « Franchement, la version selon laquelle il aurait ramassé la grenade pour la relancer, je peux pas la croire. On le sait tous qu’il faut pas les ramasser, ces engins-là. C’est écrit partout, tout le monde est au courant. Ce qu’on peut relancer, c’est juste les palets lacrymogènes, mais les grenades au sol non éclatées, et qui viennent de tomber, personne ferait un truc pareil », soupire cette zadiste, consternée. Sur place, la procureure de Saint-Nazaire se refuse à toute déclaration. Dans un chemin plus loin, une femme officier de communication de la gendarmerie refuse tout aussi net de répondre aux journalistes.
Un petit groupe des protagonistes, qui étaient sur place, est encore là, sous le choc. Leurs témoignages sont assez flou (...)
Alors que les pompiers au service des gendarmes ont pris en charge le blessé, la violence ne s’est pas arrêtée. À 14 h 20, le cahier de l’accueil de Bellevue enregistre trois nouveaux blessés : « Flashball dans le coude, un éclat de grenade dans le dos, un éclat de grenade de côté. » Un des trois a perdu connaissance.
À 17 h, une conférence de presse de l’équipe médicale de la Zad se tient à La Rolandière, à 50 mètres des fourgons de gendarmes, pare-choc contre pare-choc. Ambiance sous tension.
La représentante de l’équipe Médics explique qu’« il est assez peu probable et pas du tout crédible que la personne ait ramassé la grenade volontairement, étant donné qu’elle était en train de fuir. Quant à nos soignants, ils n’ont pas pu prendre en charge le blessé, qui n’était pas accessible. Nous n’avons pas de nouvelles de cette personne, évacuée par les forces de l’ordre. On ne sait pas si on va réussir à en avoir. Mais nous lui apportons tout notre soutien. On sait les conditions difficiles, d’être interrogé dans sa chambre d’hôpital, avec des pressions pour influer sur le témoignage. » (...)
Devant les micros, le zadiste qui l’accompagne a la voix étranglée d’émotion : « Depuis le 9 avril [début des expulsions], de nombreuses personnes ont été atteintes à quelques millimètres d’organe vitaux, donc à quelques millimètres de la mort. On est à plus de 300 blessés. On craint vraiment un mort. Si l’on veut éviter le pire, il faut que l’État arrête d’utiliser des armes létales contre nous. » (...)
La GLI-F4 est une « grenade lacrymogène instantanée » bien connue dans ce bocage qui en a vu exploser près de 4.000 depuis le début des opérations militaires à Notre-Dame-des-Landes. Cette grenade cumule puissance sonore, effet de souffle et diffusion lacrymogène. Ces grenades parfois dites « assourdissantes » sont réputées constituer l’arme la plus puissante de l’attirail du maintien de l’ordre avant l’usage des armes à feu, selon le code de sécurité intérieure qui régit la gradation des usages de la force. (...)
À Notre-Dame-des-Landes, le 10 avril, quatre gendarmes ont été blessés par une de leurs propres grenades, obligeant à une évacuation d’urgence d’un de ces militaires à l’hôpital de Nantes. Sur les circonstances, la gendarmerie et la préfecture sont restées très discrètes. Pour ne pas dire mutiques.
Il est temps de faire interdire ce type d’armement, qui met en danger des vies à chaque utilisation.