Sa performance à l’Eurovision a déjà été vue plus de neuf millions de fois sur Youtube. Habillé d’une chemise rouge aux motifs dorés, le candidat italien Mahmood enflamme la salle avec son interprétation de « Soldi » lors de la finale de la compétition. À chaque refrain, le public tape en rythme pour soutenir le jeune chanteur de 26 ans.
Il décroche finalement la deuxième place, juste derrière Duncan Laurence, le candidat néerlandais.
À l’issue du Festival de Sanremo, compétition qui détermine quel artiste italien chantera à l’Eurovison, le pays était divisé sur la victoire du jeune chanteur. Son adversaire Ultimo avait reçu trois fois plus de voix du public, mais le vote d’un jury professionnel composé de journalistes a fait basculer les résultats à la surprise générale. Il n’en fallait pas plus pour remettre en cause la légitimité du jeune chanteur à représenter son pays, alors que son profil et son style musical atypiques ne plaisaient déjà pas à tout le monde. (...)
Si Mahmood ou Alessandro Mahmoud de son vrai nom est né à Milan d’une mère italienne, son père est égyptien. Le jeune chanteur, révélé en 2012 en participant à X Factor, réinvente la musique italienne à sa façon. Sa chanson « Soldi » (argent), dont il est l’un des trois compositeurs, est inspiré de ses origines égyptiennes. Le morceau présenté à l’Eurovision est un mélange de trap, de pop et de rap sur un rythme électro et des sonorités orientales. Une chanson unique et inclassable dans le paysage musical italien actuel. Même le thème de « Soldi », qui raconte l’absence de son père dans une famille déchirée par des problèmes d’argent, détonne face aux ballades romantiques traditionnelles de son adversaire Ultimo.
Le morceau –qui comporte quelques mots d’arabes–, le nom et les origines de l’artiste sont violemment critiqués sur les réseaux sociaux en Italie par une frange xénophobe de la population. Le ministre de l’Intérieur et chef de l’extrême droite italienne, Matteo Salvini, commente lui-même sur Twitter le soir de la finale de Sanremo : « Mahmood... Bof... La plus belle chanson italienne ?!? Moi j’aurais choisi Ultimo, et vous, vous en pensez quoi ? »
Il explique qu’il aurait préféré voir « davantage d’auteurs-compositeurs italiens dans la sélection de Sanremo. » Un commentaire qui fait réagir Mahmood : il rappelle qu’il est « Italien à 100% » et que ses quelques mots en arabe ne sont que le souvenir d’une phrase que son père lui répétait quand il était enfant, car lui ne parle pas l’arabe. L’artiste précise que sa chanson raconte une histoire plutôt que de faire valoir un argument politique, mais la polémique ne désenfle pas. (...)
Rapidement, le 17 février, un projet de loi d’un député de la Ligue est déposé en réaction à la sélection de Mahmood. Il vise à imposer des quotas de musiques italiennes aux radios du pays. (...)
Un projet de loi créé selon la Ligue en réaction à la polémique « qui n’a aucun sens » pour Giulia Papello, critique musicale : les chansons de Mahmood, qui a la nationalité italienne, seraient incluses dans ces quotas si le projet était adopté.
Deuxième fait surprenant, le quota d’une chanson sur trois voulu par la Ligue est inférieur au nombre actuel de musiques italiennes passées sur les ondes nationales, proche d’une sur deux[1]. Un chiffre bien plus élevé qu’en France où des quotas similaires obligent pourtant les radios privées à diffuser au moins 40% de musique française depuis une loi de 1994. (...)
Si ce projet de loi peut sembler inutile au premier abord, il a été salué par de nombreux artistes et de nombreuses productions. Massimo Bonelli, producteur au sein de l’un des plus gros labels musicaux italiens, la Icompany, assure que c’est une « bonne idée ». S’il ne soutient pas la Ligue, l’homme d’affaire estime que ces quotas encourageront la commercialisation des artistes nationaux. (...)
Ce besoin de retour aux traditions de plus en plus exprimé par la population italienne est le sujet d’étude du sociologue Franco Ferrarotti. « Il y a en ce moment un mouvement vers un besoin de reconnaissance de l’identité nationale très présent en politique, qui apparaît aussi dans la musique », reconnaît-t-il. Pour l’universitaire, cette polémique prend tout son sens dans le climat politique de ces dernières années, alors que l’Italie connaît un « renforcement culturel et musical vers les langues nationales et locales » qui est selon lui « une erreur ». Pour le sociologue, ce projet de loi n’est qu’un coup d’éclat populiste. « Ce système de quotas imposé à la musique, regrette-t-il, détruira son sens universel par opportunisme politique. » (...)
Chez les disquaires romains, les albums italiens constamment en tête des charts semblent confirmer cette tendance. « La Ligue se sert de la montée d’une attitude protectionniste très présente en Italie aujourd’hui, pour faire passer de nombreuses mesures qui auraient vocation à protéger l’histoire de notre pays. C’est en fait un calcul politique », abonde Barbara Tomasino, journaliste à la Rai et critique musicale. (...)
Pour Barbara Tomasino, que le projet de loi passe ou non, la Ligue ne réussira jamais à dicter au peuple italien quelle musique écouter. « Les goûts et les styles changent. Aujourd’hui le rap et le trap sont à la mode et on ne peut pas forcer les jeunes à écouter des ballades, ni plus de musique italienne. » De leurs comptes Spotify ou depuis YouTube, les jeunes n’auront de toute façon que faire de ces quotas assure la critique musicale. (...)
Interrogé à la volée à la fin de l’une de ses séances de dédicace, le chanteur visé par ce projet de loi s’est contenté de hausser les épaules et de répondre du bout des lèvres : « Moi, je ne pense simplement pas que cette loi soit utile … » Le premier album de Mahmood, Gioventù bruciata, est classé numéro 1 en Italie. Lassé par les polémiques successives sur ses origines, son homosexualité et ses chansons, Mahmood explique qu’il aimerait à présent pouvoir « juste faire de la musique ».