
À la manière du conseil scientifique qu’il avait réuni sur l’épidémie, le président a sélectionné 26 économistes pour orienter sa politique post-covid. Un casting qui laisse à penser que le monde d’après coronavirus, sera le même que celui d’avant.
À la tête de son conseil d’experts, Emmanuel Macron a nommé l’éternel Jean Tirole, récent « prix Nobel » d’Economie, et Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI. On y retrouve le cénacle traditionnel et médiatique des économistes orthodoxes libéraux convaincus, Daniel Cohen, Philippe Aghion ou encore Jean Pisani-Ferry, qui a écrit le programme économique du candidat En Marche en 2017. Seul Patrick Arthus, le chef économiste de Natixis, semble manquer à l’appel. Le Président a su aussi recruter quelques pontes étrangers, comme le néokeynésien Paul Krugman, l’ancien vice-président de la Banque mondiale Nicholas Stern et l’ex-conseillère économique de Bill Clinton, Laura Tyson. Tous ensemble, ils ont pour mission de répondre au souhait d’Emmanuel Macron de « repenser nos dogmes économiques à l’échelle française, européenne et internationale » dans un cadre qui se trouve désormais « aux limites de la pensée contemporaine », explique l’Élysée. Ce qui peut prêter à sourire lorsqu’on voit ce panel d’experts de l’ancien monde, ceux-là mêmes qui murmurent à l’oreille des gouvernements depuis des décennies. Le président leur a imposé trois grands thèmes de réflexion : le climat, les inégalités et la démographie. (...)
« Ce conseil n’est pas tout à fait monolithique, Krugman par exemple apporte un peu de contraste, il faut croire que Macron est trop fin pour n’avoir choisi que des ultra-libéraux, analyse Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac. En revanche, il n’y a aucun économiste de renom qui a une vraie pensée critique. Pas de Piketty, pourtant la référence mondiale en matière d’inégalités, pas de Gabriel Zucman ni d’Esther Duflo, prix Nobel en 2019 et qui a une vraie réflexion sur le monde d’après Covid. Bref, aucun des experts choisis ne remettra radicalement en cause la politique menée par Macron. » (...)
Pour le porte-parole d’Attac, ce conseil va surtout servir au Président de justification pour la poursuite de sa politique néolibérale, en se cachant derrière une excuse toute trouvée (« ce sont les recommandations des économistes ») (...)
« Plus problématique encore, le principe même de ce comité d’experts revient à dépolitiser des choix éminemment politiques, en faisant croire à un consensus scientifique sur des questions pour lesquelles il existe d’importants débats entre économistes », alerte Raphaël Pradeau.
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Résumons : savoir = expertise ; expertise = expertise économique ; expertise économique = celle de l’homo œconomicus ; l’homo œconomicus peut embrasser tout problème de société et définir la politique à suivre. Circulez, il n’y a plus rien à voir. (...)
La création de cette commission, les objectifs qui lui sont fixés, sa composition « homogène » à la fois sur les plans disciplinaire et théorique, et par conséquent les dogmes auxquels se réfèrent explicitement ses responsables, sont un condensé de l’impasse irrémédiable dans laquelle la prétendue science économique, qui n’a de science que le nom, conduit l’enseignement, la recherche et la politique. Elle se veut et se croit au-dessus de toutes les sciences sociales, elle est au-dessous. Le président de la République, par sa décision, accentue le glissement de la démocratie vers le pouvoir des experts. Pire, vers les plus mauvais experts, ceux adhérent aux dogmes néo-libéraux et aux choix des classes dirigeantes.