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Macron ou l’abstention, l’inutile querelle
Article mis en ligne le 26 avril 2017

Il est regrettable de voir depuis dimanche partisans du vote de raison et ceux de l’abstention se jeter à la figure leurs positions respectives et, pire encore, considérer celui qui ne va pas dans leur sens comme un adversaire politique, semblant ainsi oublier subitement leurs aspirations communes, et les veritables enjeux.

Les termes du débat sont bien connus : Oui, E. Macron ne représente en rien les idées portées par les mouvements et personnes de « gauche », oui son orientation clairement libérale ne peut que confirmer et amplifier les pathologies sociales déjà existantes : inégalités économique toujours plus profondes, productivisme et consumérisme insensé et écologiquement intenable, délitement de l’Etat social…Oui, mais face à lui le F.N et ses préférences nationales, son racisme à peine voilé, ses folles prétentions autoritaires, sa politique culturelle et sociale infecte…

S’abstenir, c’est potentiellement assumer la responsabilité de voir le Front national arriver au pouvoir, hypothèse à laquelle on s’est peut-être un peu accoutumé ces derniers temps mais dont la réalisation ne manquerait pas de nous infliger une claque d’une violence inouïe, et dont l’ampleur et la dangerosité des conséquences seraient telles qu’on ne peut les percevoir aujourd’hui qu’à peine.

« Front républicain » donc, union du raisonnable face au pire. L’argument est de taille, sans doute se suffit-il à lui-même.

Oui mais...

Il est difficile de ne pas voir, à l’inverse, à quel point cet argument d’autorité tronque lourdement l’exercice démocratique. Il faudrait pouvoir mesurer à quel point cette stratégie anti-FN a pesé dès le premier tour en favorisant le vote Macron « à la Cohn-Bendit », tant celui-ci est présenté médiatiquement depuis des mois comme le meilleur « rempart ». Il faut aussi se demander combien de temps encore l’électeur de gauche pourra être amené à voter « contre le FN » en soutenant ainsi une ligne politique à l’opposé de toutes ses valeurs et convictions. (...)

Le Front républicain et l’abstention

Il est sans doute pertinent de se demander, par ailleurs, jusqu’à quel point le traditionnel clivage « républicain-anti républicain » est encore opérant : la radicalisation rhétorique opérée par Sarkozy en 2012 a été poursuivie par F. Fillon, et, dans le discours tout du moins, la xénophobie latente et le nationalisme agressif des candidats républicains n’a aujourd’hui plus grand-chose à « envier » au FN. Il est donc à première vue étonnant de constater que la frontière radicale entre « droite » et « extrême-droite » résiste aussi bien au rapprochement idéologique entre les deux forces politiques. Cela conduit à penser que ce n’est pas tant le discours sociétal qui effraie Fillon et ses comparses que la ligne économique que le Front-National prétend porter. Ce n’est pas la préférence nationale ou la politique migratoire brutale de Lepen qui est intolérable aux « Républicains » (dont, sur le deuxième point, les propositions se rapprochaient singulièrement du programme frontiste) mais la perspective d’une sortie de l’Euro.

Si on va dans le sens de ces différentes hypothèses (nécessairement caricaturales), on est enclin à regarder sous un autre angle ce qui existe concrètement derrière le « Front républicain ». Ce dernier est sans doute plus l’alliance de circonstance d’électeurs de gauche et de droite qui partagent une même aversion pour le F.N pour des raisons opposées, que le rapprochement entre « adversaires » qui au-delà de leurs divergences possèdent dans le fond des valeurs républicaines face à l’« ennemi » tel qu’on nous le décrit si spontanément. Et cette alliance de circonstance apparait beaucoup plus fragile que le consensus démocratique essentiellement fictif célébré par avance par le discours médiatique (...)

S’abstenir ce n’est donc pas nécessairement placer Macron et Lepen sur un pied d’égalité, mais refuser de réduire la politique à cette forme d’expression collective par défaut qui, « étonnamment », bénéficie toujours au camp libéral. Certes, Macron n’est pas Lepen, loin s’en faut. Mais qui regarde un tant soit peu ce qui se passe actuellement en Italie, en Espagne et plus encore en Grèce peut comprendre les réticences profondes qui empêchent certains électeurs de gauche d’aller valider le 7 mai cette ligne politique. Enfin, il faudrait être aveugle pour ne pas voir que la compétition généralisée des uns contre les autres, la précarisation, la suppression des protections et droits collectifs que porte le libéralisme ont des effets sur le corps social qui font, à terme, une partie du terreau sur lequel grandi le Front national. (...)

L’exercice politique réduit au vote confère à celui-ci une dimension symbolique déraisonnable qui est pour beaucoup dans l’éternelle division de la gauche, poussant chacun à choisir son parti et entrer en compétition avec les autres en mettant dès lors en avant ce qui différencie plutôt que ce qui rassemble. C’est au fond ce qui s’exprime actuellement entre les partisans du vote utile et ceux de l’abstention, et ce qui s’est exprimé au premier tour entre partisans de Mélenchon, Hamon, Poutou ou Artaud.

C’est oublier que le vote au niveau individuel est dans les faits plus une façon de se définir qu’un véritable acte politique dont la portée est finalement dérisoire, celle d’un bulletin parmi 47 millions. C’est oublier que le choix d’un électeur de gauche le 7 mai sera nécessairement un choix par défaut, et la frustration produite par cette situation explique sans doute le caractère électrique du débat actuel. (...)

Quel que soit le candidat élu, tous seront de toute façon conduit à agir ensemble pour porter la vision qu’ils ont en commun, celle de l’humanisme face à la xénophobie et au fantasme identitaire, celle du socialisme (historique) face à l’individualisme capitaliste, de la prise de conscience écologique plutôt que de l’obsession pour la croissance. Alors qu’une recomposition politique semble plus que jamais nécéssaire et inévitable, il serait bien dommage et foncièrement contre-productif que le "peuple de gauche" privilégie une fois encore les désaccords stratégiques aux convergences idéologiques.