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Mediapart
Loi Sécurité : les colères enfin déconfinées
Article mis en ligne le 29 novembre 2020

Les Marches pour les libertés, qui se sont tenues samedi 28 novembre dans 70 villes, ont donné lieu à des mobilisations inattendues et spectaculaires. À Paris, plus de 100 000 personnes (200 000 selon les organisateurs) ont défilé pour dénoncer les violences policières et « la dérive liberticide » d’un pouvoir accusé d’instrumentaliser le confinement pour passer en force. Récit et témoignages.

C’est l’événement que redoutait le gouvernement. Les Marches pour les libertés, qui se sont tenues ce samedi 28 novembre dans 70 villes en France à l’appel du collectif « Stop loi sécurité globale », ont donné lieu à des mobilisations inattendues et spectaculaires. Rien à voir avec les quelques milliers de participants, samedi 21 au Trocadéro, à Paris.

Cette fois, ce sont des dizaines de milliers de personnes (sans doute plus de 200 000 dans tout le pays, 500 000 selon les organisateurs, 133 000 selon le ministère de l’intérieur) qui ont pris la rue pour protester contre « la dérive autoritaire et liberticide du gouvernement », selon un manifestant croisé à Paris.

Il n’était plus guère question du seul article 24 de la loi dite « sécurité globale », article qui vise à empêcher de filmer et diffuser les interventions de policiers. Il était encore moins question de mobilisations pouvant apparaître comme petitement corporatistes, celles de journalistes empêchés d’exercer leur métier. Ces derniers étaient massivement minoritaires dans les foules denses de manifestants.

Samedi, les citoyens se sont enfin déconfinés pour défendre leurs droits fondamentaux : liberté d’expression, liberté d’information, liberté de manifester, droit à la sécurité donc à un contrôle public de la force publique. Ce sont des colères et des refus divers qui se sont agrégés : contre les violences policières et l’impunité organisée, contre le préfet de police de Paris Didier Lallemant et son ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, contre un pouvoir accusé d’utiliser la crise sanitaire et le confinement pour s’en prendre aux droits fondamentaux.

À Paris, la diversité des manifestants, leur jeunesse aussi, témoignait de ces inquiétudes multiples : journalistes, syndicalistes, « gilets jaunes », étudiants et lycéens, militants politiques, une centaine d’élus d’Île-de-France, mais aussi le Comité Adama et d’autres collectifs contre les violences policières et d’innombrables associations de défense des droits humains. Ces Marches pour les libertés étaient d’ailleurs appelées par une coordination de plus de 70 syndicats et collectifs (...).

À 16 h 45, des échauffourées éclatent près de la place de la Bastille, lorsque plusieurs centaines de membres des Black Blocs attaquent une agence bancaire et répliquent à des charges policières et aux premiers tirs de lacrymogènes. Un dispositif policier massif a été déployé tout au long du parcours.

Dans une lettre adressée à tous les policiers avant la manifestation parisienne, le préfet de police de Paris Didier Lallement leur demandait de tenir « la ligne républicaine jusqu’au bout », sans préciser ce dont il s’agit… Le préfet assure que « dévier de la ligne républicaine qui nous sert de guide, cette ligne qui a éclairé les pas de nos anciens dans les ténèbres de l’histoire, c’est renier ce que nous sommes, c’est ébranler le pacte de confiance qui nous unit à nos concitoyens, c’est perdre le sens de notre mission ».

En écho à ces mots, Murielle, 50 ans, fait un tout autre récit qui explique sa présence. Elle dit avoir découvert la violence de la police contre les gilets jaunes début 2019. « La presse, de manière générale, n’a pas fait son travail. Ce que j’ai vu est effroyable, des violences policières orchestrées à chaque manifestation. Ils ont théorisé le contact direct entre les forces de l’ordre et les manifestants. J’ai perçu le glissement autoritaire du pays. On me répondait que j’étais excessive. Mais voilà, nous y sommes. Si la France lâche sur la liberté d’expression, c’est fini, on doit absolument se battre. »

Au fil du cortège, de nombreuses colères se croisent. (...)

Dans le cortège, les discussions se poursuivent. Oui, il y a les violences policières, les menaces sur les droits fondamentaux. Mais c’est tout un climat installé par le pouvoir, son comportement qui sont pointés avec différents mots, et puis cette crise sanitaire qui ruine les projets, les envies et le débat public. (...).

Avec des mobilisations tout aussi importantes et inédites depuis des années dans des villes en région (lire nos reportages), voilà Emmanuel Macron et son gouvernement placés au pied du mur. De nouveaux rassemblements et manifestations sont annoncés pour samedi prochain. « Pour une fois, on est tous d’accord sur l’essentiel. C’est rare et ça montre combien ce pouvoir est mauvais », se réjouissait un manifestant enfin parvenu à la Bastille. À l’Élysée, désormais, de le faire mentir.