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Locataires en ordre de bataille : La Butte-Rouge, c’est son non
Article mis en ligne le 8 août 2018
dernière modification le 7 août 2018

Une partie de la cité-jardin de la Butte-Rouge, à Châtenay-Malabry, est menacée de rénovation. Sous prétexte de « mixité sociale », deux tiers des habitants les plus modestes sont sur le point de perdre leur logement social, forcés de partir s’installer plus loin. Aujourd’hui, ils cherchent à s’organiser en collectif, mais la mairie leur met des bâtons dans les roues. Reportage.

« C’est un ghetto où il fait bon vivre », dit Lydia en souriant. Elle est une des animatrices du collectif Droit au logement (DAL) des locataires de la Butte-Rouge, à Châtenay-Malabry, dans la banlieue sud de Paris. Propriété de l’office HLM des Hauts-de-Seine, cette cité-jardin historique [ voir encadré ci-dessous ], construite entre 1931 et 1965, regroupe près de 4 000 logements sociaux. Soit 9 000 habitants, le quart de la population de cette petite ville plutôt cossue. La cité est répartie sur 70 hectares dans un parc de verdure, à la lisière du bois de Verrières. Les habitats sont espacés, entrecoupés d’escaliers, de dénivelés, de rues en méandre. Entre les petits blocs d’immeubles de deux à cinq étages, faits de briques recouvertes de stuc rouge pâle, on trouve des enfilades de jardins ouvriers. Une imposante barre en arc de cercle de huit étages sur pilotis, nommée « la demi-lune », domine la butte. « Le paysage est très verdoyant et l’ensemble de blocs simples et cubiques, avec les jardins dispersés sur l’arrière des bâtiments, donne un paysage tout à fait charmant », peut-on lire sur la page Wikipédia, comme dans une brochure touristique. La Butte-Rouge est aussi présentée dans les écoles d’architecture comme modèle d’habitat populaire – et contre-modèle de la cité-béton. Une demande de classement au titre des sites patrimoniaux a d’ailleurs été déposée en janvier au ministère de la Culture par l’association Environnement 92.

Loyer multiplié par deux

Pourtant, un projet de rénovation urbaine porté par la mairie et l’office HLM, s’inscrivant dans une « stratégie d’intervention globale sur dix à quinze ans », prévoit la destruction de plusieurs pans de cette cité-jardin afin de la « désenclaver ». Les « îlots-tests » concernés par la destruction sont situés le long de l’avenue de la Division-Leclerc, qui doit accueillir la future voie de tramway T10 et répondre à un plus haut standing d’habitation.

L’objectif est de privatiser un tiers des logements et de faire passer un autre tiers en logements « intermédiaires », alors qu’ils sont actuellement en PLAI (Prêt locatif aidé d’intégration, le loyer le plus bas, soit 5 € le m2). Ce qui signifierait un loyer multiplié au moins par deux. Sous prétexte de favoriser la « mixité urbaine et sociale » – pas assez de cadres – et de souligner les « inadaptations d’usages et de confort d’habitabilité, de performance énergétique pour les logements » – pas assez de garages souterrains –, le maire Georges Siffredi (LR), aux manettes depuis vingt ans, promet d’inventer « la cité-jardin du XXIe siècle » [1], délestée ainsi des deux tiers des habitants les plus modestes. Et pour cela, il « veut aller vite ». Le projet est estimé à 284 millions d’euros. (...)

« Faire union »

Face à cette destruction annoncée, un collectif DAL des locataires de la cité-jardin s’est constitué, à l’initiative de cinq drôles de dames drôlement combatives. « Le maire a désigné un “ conseil citoyen ” de manière opaque, sur le modèle des citoyens vigilants. Cela lui sert d’alibi pour court-circuiter toute concertation, explique Nadia, membre du collectif. De son côté, l’office HLM refuse de nous fournir le plan de rénovation. Depuis septembre, on a aussi demandé à obtenir un local, mais il nous a été répondu qu’on instillait la peur… On est obligés de faire un recours. » (...)

Intervention municipale

Très vite, les étapes de la mobilisation s’énoncent comme une évidence : « Il faut vite une pétition à faire signer dans toute la cité, en disant qu’on ne souhaite pas partir et qu’on veut que ce soit entretenu. » « Tout à fait d’accord, approuve une dame, je m’occupe de la faire signer dans mon escalier. » Il est aussi question d’organiser une manifestation devant la mairie, ce qui déclenche l’enthousiasme. C’est alors qu’une silhouette sombre se glisse à l’entrée. L’homme, mâchoire serrée, la mine grave, les mains enfouies dans les poches de son trois-quarts anthracite, se décide à apostropher l’assemblée : « Qui est le responsable de cette réunion ? Je suis le directeur de l’IDSU [Insertion et développement social urbain], responsable de la salle. Vous n’avez pas l’autorisation d’être ici. Ce que vous faites est illégal. Veuillez sortir immédiatement ! » Le brouhaha s’instaure : « On nous a ouvert sans effraction, on reste pour terminer la réunion. Soit vous y participez si ça vous concerne, soit vous repassez dans une heure » ; « On va pas sortir ! Vous ne nous faites pas peur ! » ; « Si on ne peut pas rester ici, on ira se réunir à la Mairie ! »

Afin d’éviter que le ton ne monte trop vite, la jeune assemblée, encore peu sûre d’elle-même, décide finalement d’écourter cette première prise de contact. Un commissaire et trois policiers entrent à leur tour pour intimer l’ordre d’évacuer la salle. La séance est levée, mais les discussions continuent sur le trottoir. L’incident semble fédérer les esprits : « On vient encore d’avoir un bel exemple de démocratie locale, ironise quelqu’un. C’est un aveu de faiblesse de la part de la municipalité. Elle va vite avoir le retour de bâton... » Et chacun-chacune se quitte en se promettant de ne pas en rester là.(...)