
À l’ère du Covid-19, la résistance commence dans les entreprises du « nouveau monde ». En ces temps de pandémie et de confinement avec, dans tous les pays, des attaques contre les droits et les libertés, la première victoire juridique, la première manifestation de rue et la première grève internationale arrivent là où ne les attendait pas. Elles secouent les machines à cash de l’ère numérique dont la face sociale nous rappelle le 19e siècle : ces zones de non-droit que sont le e-commerce mondial tentaculaire d’Amazon et les plates-formes de livreurs-coursiers ubérisés. Là où le droit du travail est au mieux bafoué (Amazon) au pire ignoré (les coursiers).
Les forçats du vélo font la première grève internationale confinée
La première action qui se veut internationale a eu lieu ce 22 avril pour une durée de vingt-quatre heures, dans le silence des médias : c’est la grève des coursiers et livreurs de Glovo, Uber Eats, Pedido ou Rapi des pays latino-américains (Argentine, Colombie, Costa Rica, Équateur, Guatemala, Pérou…) ou européens (à ce jour, l’État espagnol). Ils dénoncent leurs conditions de travail, aggravées par la crise du coronavirus, une baisse du tarif de la course et la précarité de leur statut (ils sont tous à leur compte ou autoentrepreneurs). Les Espagnols ont réalisé la première manif de rue bravant le confinement à Madrid le 18 avril (...)
Le Clap et autres Riders x Derechos ont d’abord été soutenus par des syndicats comme SUD, en France, la CNT, la CGT et l’IAC dans l’État espagnol. Les grandes centrales syndicales réformistes les avaient oubliés, entre manifestations contre des ordonnances qui ne semblent concerner guère ces jeunes sans statut et réforme de retraites, auxquelles ils ne cotisent pas.
Et voici qu’alors que le discours de guerre autour du Covid-19 tente de confiner résistances syndicales et résistances collectives, l’on voit – notre « Virus » en rend compte toutes les semaines – se multiplier les protestations : travailleurs et travailleuses « essentiel·les » d’abord ; puis petit à petit celles et ceux qui devront après-demain en France ou en Italie, hier dans l’État espagnol, braver le métro bondé pour se serrer à l’atelier, au bureau ou au guichet sans protection ; ceux dont les enfants ont décroché du mirage numérique de Blanquer ; ceux qui ne figurent sur aucun registre épidémique dans des centres de rétention ou dans les quartiers…
Les coursiers et autres livreurs ont continué de sillonner les rues depuis le 16 mars, en France et ailleurs, ils ont eu droit à l’ausweis des travailleurs « essentiels » (dans l’État espagnol) et à la tolérance en France pour livrer repas préparés, vêtements… Jusqu’à ce que les donneurs d’ordre osent baisser des tarifs déjà dérisoires à ceux qui, sans gants ni masque, livrent des choses souvent bien peu essentielles. (...)
Incapables de négocier, les plates-formes ont d’abord réagi en tentant de soudoyer les non-grévistes : ainsi, Glovo a annoncé qu’il multipliait par cinq le tarif des courses des non-grévistes durant la journée du 22 avril ! Attisant la colère des grévistes : « S’ils l’ont fait aujourd’hui pourquoi pas toujours ? » Des discussions semblent commencer par Internet avec certains donneurs d’ordre, notamment l’espagnol Glovo. Cette fois, si avancées il y a, elles ne manqueront pas de faire tache d’huile.
L’empire Amazon secoué par un syndicat français et par des grévistes américains
L’autre surprise, pour ceux qui croyaient l’empire Bezos et ce « nouveau monde » intouchables, a été la condamnation d’Amazon par un tribunal français. Elle faisait suite à la décision de justice enjoignant l’entreprise de se mettre aux normes après la plainte de l’Union syndicale Solidaires, déposée le 8 avril, dénonçant les conditions sanitaires (...)
Pourtant Amazon, qui espérait réaliser des profits inédits (l’action avait bondi de 12% en Bourse dès le 23 mars) et profiter de la crise pour augmenter ses parts de marché et probablement absorber ou détruire quelques-uns de ses concurrents, se croyait au-dessus de ces contingences sanitaires. À Bergame, en plein pic de l’épidémie italienne, la multinationale avait obligé les salarié·es à se rendre dans ses entrepôts pour assurer les commandes sans tenues adaptées, malgré les demandes des syndicats. Les travailleurs des entrepôts de Torazza, Passo Corese, Castel San Giovanni ont ensuite fait grève.
En France, Amazon a été confronté à un obstacle inattendu : le tribunal de Nanterre lui a ordonné de procéder à une évaluation des risques épidémiques, y compris les risques psychosociaux, en y associant les instances représentatives du personnel. Il a enjoint également l’entreprise, dans l’attente, sous 24 heures et sous astreinte d’un million d’euros par jour de retard, de limiter l’activité de ses six entrepôts aux produits dits « essentiels ».
Le géant a contesté évidemment la décision du tribunal, et annoncé la fermeture de tous ses sites français (10 000 salarié·es) en attendant de se mettre en conformité. Il a saisi la cour d’appel, tout en arrêtant ses distributions jusqu’au 24 avril. Grand seigneur, le mastodonte a « demandé » à ses salarié·es de rester chez eux : elles et ils « percevront leur plein salaire », a annoncé la direction (ce qui, entre parenthèses, n’est que la loi). (...)
La cour d’appel de Versailles, le 24 avril, a confirmé l’injonction de réaliser une évaluation des risques tout en élargissant la liste des produits de « première nécessité », et donc livrables (produits de santé, d’alimentation, d’épicerie, boissons mais aussi informatique) (2). Elle a également limité l’astreinte par infraction constatée à 100 000 euros par infraction au lieu d’un million d’euros. L’ensemble des syndicats s’en félicitent (...)
aux États-Unis aussi, Amazon affronte le « vieux monde » des grèves. (...)
Le « nouveau monde » des requins du e-commerce et des vraies-fausses start-up de livraison sans salarié·es a été rattrapé par une pandémie qui a fait réagir travailleur·euses et précaires sur des droits élémentaires à la santé et tout simplement à la vie. Á l’initiative d’un syndicat venu du « vieux monde », Amazon a été rattrapé par une justice qu’il a l’habitude d’éviter et qui, parfois, rend leur dû à ceux d’en bas, rappelant à l’ordre, temporairement, certes, les sbires arrogants de Bezos, des habitués du mépris du droit du travail.