
Ce jeudi, les personnels de santé seront à nouveau dans la rue pour dire leur opposition à la réforme des retraites. Soignants et soignantes crieront aussi leur colère face à la dégradation de leurs conditions de travail depuis que le soin et la relation aux personnes sont soumis à la logique de la performance.
Tout de blanc vêtus, ils et elles seront à nouveau dans la rue ce jeudi 20 février. Car la réforme des retraites, « c’est la cerise sur le gâteau », pour Philippe Peretti, infirmier à Montpellier (Hérault) et syndicaliste à la CGT-Santé. « Cette réforme nie complètement la pénibilité de nos métiers de soignants, estime-t-il. On travaille de nuit, au contact de maladies, on porte des charges lourdes, on est exposé à des produits toxiques… Beaucoup d’infirmières et d’aides-soignantes partent en commission d’invalidité à la fin de leur carrière. Et on voudrait nous faire bosser encore plus longtemps ! » Une aide-soignante sur trois termine en effet sa vie professionnelle avec un handicap. D’après le Syndicat national des professionnels infirmiers, qui s’appuie sur un rapport de la caisse de retraites du secteur, « l’âge moyen des femmes hospitalières décédées est de seulement 78,8 ans » contre 85,3 ans en moyenne pour les femmes françaises.
Surtout, la réforme des pensions inonde le vase déjà bien rempli de la contestation des blouses blanches. Depuis plus de dix mois, les hôpitaux bouillonnent : débuté aux urgences, le mouvement a rapidement gagné l’ensemble des soignants. Les manifestations se succèdent partout en France, comme celles organisées le 14 février dernier. Marche à Paris pour « déclarer leur amour à l’hôpital public », chaîne humaine à Compiègne (Oise), « cœur géant » à Poitiers (Vienne), lâcher de « ballons roses » à Douai (Nord)… 300 personnes qui ne pouvaient pas faire grève ont envoyé symboliquement un avis d’arrêt de travail fictif pour épuisement à l’agence régionale de santé. En janvier, 800 médecins-chefs ont renoncé à leurs fonctions administratives, désertant les instances de direction pour se consacrer exclusivement aux soins. Certains praticiens mènent aussi une « grève du codage », et ne transmettent plus à l’Assurance maladie les données permettant d’établir les factures.
« J’ai le sentiment qu’on maltraite les équipes et je me sens complice de cette maltraitance »
La mobilisation, d’une ampleur inédite, est à la mesure de la colère et du désarroi des soignants. Celles et ceux que nous avons interrogées partagent tous le même constat : celui d’une dégradation sans fin de leurs conditions de travail, et donc de la qualité du soin. (...)
D’après Philippe Peretti, cette dégradation des conditions de travail est liée au « passage d’une logique soignante à une logique de performance » . « L’hôpital est vu comme une entreprise, on ne parle plus que d’argent et de rentabilité », observe aussi Émilie. À l’autre bout de la chaîne hospitalière, le patient est lui aussi exhorté à l’efficacité, comme l’explique Barbara Stiegler : « On parle désormais d’autonomie du patient, qui consiste en fait à nous rendre responsables de nos succès et de nos échecs, à nous “responsabiliser”. Chacun doit devenir un acteur responsable qui optimise le système sanitaire en acquérant des compétences, dans la surveillance de soi, dans la gestion de ses risques. » La philosophe voit là l’application de l’idéologie néolibérale au domaine du soin. (...)
D’après le philosophe, « l’approche productiviste de la nature s’applique désormais à la santé, devenue l’objet d’une industrie. Avec l’agriculture industrielle, il s’agissait de maîtriser le vivant autour de nous, à travers la zootechnie et les produits phytosanitaires. De même, notre médecine est devenue une biomédecine, qui vise à maîtriser le vivant en nous ». (...)
Dans ce nouveau monde médical, il s’agit donc de produire de la santé — on parle même de « capital santé » — au meilleur prix. Or, « la partie relationnelle de nos métiers n’est pas quantifiable et donc pas quantifiée, et tout est calculé comme si nous ne la faisions pas », témoigne Émilie. Ainsi, il n’y a plus de temps, plus de place pour le soin, entendu comme « l’attention à autrui et aux plus vulnérables », précise Sandra Laugier, philosophe spécialiste du care (soin). (...)