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Les traumatisés de Sainte-Soline
#MegaBassines #eau #sécheresse #repression #SainteSoline
Article mis en ligne le 10 avril 2023
dernière modification le 9 avril 2023

15 jours après la manifestation à Sainte-Soline, de nombreux manifestants gardent des séquelles de la répression policière. Des « traumatisés » qui souffrent de blessures physiques mais aussi psychologiques.

En apparence, c’est un tableur Excel tout ce qu’il y a de plus banal. 150 cases, fond blanc, police d’écriture noire. Il s’agit du « recensement » – non exhaustif, précisent ses auteurs – des blessures constatées par des soignants sur les manifestants de Sainte-Soline. Il a été publié le 31 mars par Les Soulèvements de la Terre. Il dessine un effroyable tableau, empli de douleurs vives aux conséquences durables. Deux urgences vitales, deux nez « délabrés », un œil meurtri par des morceaux de verre, une plaie aux testicules, des dizaines d’éclats de grenades, une pelletée de blessures « profondes », parfois nécrosées, pouvant atteindre la « taille d’un œuf »… Ainsi que de l’anxiété, de la panique, des sensations de « dissociation ». Autant de troubles qui continuent, deux semaines après les faits, d’affecter un grand nombre de militants.

Sur le plan physique, d’abord. Nombreux sont ceux à porter les stigmates de la répression policière. Le pronostic vital de Serge, un manifestant touché à la tête par une grenade, est encore aujourd’hui engagé. (...)

Lundi 3 avril, deux plaintes ont été déposées par des manifestants. (...)

Quoiqu’ayant écopé de blessures moins graves, certaines personnes présentes à Sainte-Soline ont également vu leurs vies chamboulées. Reporter indépendant, Adrien Adcazz a été atteint par une grenade alors qu’il filmait les affrontements. Deux semaines plus tard, il ne peut toujours pas marcher sans béquilles, et enchaîne les antidouleurs. (...)

« Personne n’avait imaginé une répression aussi massive. Beaucoup se sont sentis pris au piège, avec l’impression qu’on avait essayé de les tuer. »
« Beaucoup de gens ont des flashback des images de blessés »

Dans les premiers jours qui ont suivi la manifestation, les organisateurs ont reçu « entre 30 et 50 » appels de personnes en « détresse psychologique urgente ». « Les numéros ont été saturés », raconte Ambre. Une adresse mel a depuis été créée. Une cinquantaine de demandes d’écoute ont déjà été reçues. (...)

Porte-parole de la Confédération paysanne Île-de-France, Gaspard Manesse confie avoir vécu, avec ses camarades, « une semaine post-traumatique » après la manifestation. « On était tous très brassés. Le lundi matin, personne n’arrivait à bosser. Certains avaient des montées intempestives de larmes, on était tous fourrés à regarder les informations de la presse et des réseaux sociaux. » Appelé à s’occuper pendant un moment de Serge, l’une des personnes grièvement blessées, il explique avoir été « très remué » : « J’ai été infirmier à un moment, j’ai déjà un peu d’expérience. Mais ce n’est pas la même chose quand quelqu’un a une crise cardiaque, et quand quelqu’un est blessé à cause d’une grenade canardée suite à une décision du ministère de l’Intérieur. » (...)

« Ce qui est difficile, ce n’est pas de voir des blessés, on en voit tout le temps. Ce qui m’a perturbée émotionnellement, c’est d’être impuissante. De voir cette accumulation de blessés et d’être seule, sans matériel, de ne pas pouvoir les prendre en charge en attendant des secours qui ne viendraient jamais. » (...)

Gaston ], un « medic » qui dit s’est senti « entouré par la mort » durant la manifestation, raconte avoir dormi 28 heures en un week-end. Il dit également se sentir plus « parano », comme s’il pouvait « être sujet à la répression pour quelque chose d’anodin ». Océane, qui raconte d’une voix encore chevrotante avoir été « sidérée » par la vision de gens de son âge mutilés, a souffert d’un sommeil haché pendant deux jours. Jeanne ] sursaute désormais à chaque bruit de pétard. (...)

« Personne n’en sort indemne, estime Mathieu, 49 ans. Même ceux qui sont habitués ont bien senti que ce n’était pas normal. »

« Je suis traumatisé. Par ces deux heures. Était-ce une ? Trois ? Je ne sais pas. Le temps s’est fracturé, disloqué, étendu, rétréci. Impossible de savoir. Pendant tout ce temps où j’étais à Sainte-Soline, j’étais en enfer. »