
Les sciences sociales sont souvent le parent pauvre de l’université, faisant les frais des sacrifices imposés au monde académique, les sciences dites « dures », en particulier appliquées, étant relativement préservées. La connaissance qu’elles produisent s’avère néanmoins essentielle, car comme le rappellent à juste titre les signataires du Manifeste, La connaissance libère . Cette libération doit être entendue comme la production d’alternatives à la pensée dominante, dans la mesure où ces alternatives questionnent l’ordre établi .
Le monde tel qu’il est convenant à ceux qui y accumulent le plus de pouvoirs, il devient d’autant plus nécessaire de remettre en cause leur « expertise », que les auteurs résument comme un « prêt-à-penser dont ils [les dominants] s’autorisent pour interdire la mise en cause des positions qu’ils détiennent – souvent par héritage – [qui] n’est d’ordinaire que rationalisation de leurs dominations. » . Les sciences sociales ont donc pour but de débusquer les intérêts et les inégalités dans les discours qui légitiment la société, afin de conduire à l’émancipation des dominés.
Pourtant, « aujourd’hui, de plus en plus, lorsqu’elles ne servent pas d’expertise aux pouvoirs, les sciences sociales sont rendues invisibles, interdites d’usage. » . On se focalise plus sur les manifestations de dysfonctionnements sociaux que sur leurs causes. Le changement de perspective préconisé par les signataires du Manifeste pourrait permettre aux dominés de sortir de l’individualisation et de l’intériorisation de leurs souffrances, qui ne sont presque plus contextualisées à la lumière des fonctionnements sociaux qui les produisent. (...)
Pour les signataires, les sciences sociales sont donc une « conquête sociale », au même titre que le système de retraite ou que les droits au chômage. L’autonomie des sciences sociales a en effet été le fruit d’un combat. Grâce à l’acquisition de cette indépendance, celles-ci peuvent contribuer au dévoilement des mécanismes de domination, par leur refus de considérer des situations sociales comme « naturelles ». (...)
Plus largement, les sciences sociales luttent contre le discours néolibéral, surtout lorsque ce discours adopte un langage « scientifique », souvent économique, pour justifier l’adoption d’une idéologie. (...)
Après ce réquisitoire, les auteurs proposent de contre-attaquer. Cela passe par une reconnexion entre la critique portée par les sciences avec les citoyens, sans que l’agenda de la recherche ne soit déterminé par l’espace médiatique (actualités) ou politique (programme du gouvernement ou des partis). L’intervention des sciences sociales passe par la contextualisation du positionnement des acteurs dans les débats publics, par exemple grâce aux travaux des chercheurs sur les intérêts (économiques, etc.) de chaque intervenant à ces débats, et à une remise en cause de ces mêmes chercheurs sur leurs propres intérêts. Les signataires du Manifeste défendent que la prise de position politique n’est pas une pratique incompatible avec la recherche en sciences sociales. Au contraire, elle vient alimenter son développement (...)
Dans le style clair qui caractérise ce manifeste, auquel on ne peut que souhaiter la diffusion la plus large possible, les signataires terminent par un appel à la combativité contre la doxa académique relayée par les médias. (...)