
Peu connue du public, la firme Ecocert joue un rôle crucial dans le secteur de l’agriculture biologique : c’est le principal organisme certificateur des produits labellisés AB. Mais l’idéal de départ s’est transformé en une gestion capitaliste assoiffée de profits et maltraitant les salariés. Ceux-ci se sont mis en grève.
– L’Isle-Jourdain (Gers), reportage
Un oiseau qui pique du nez. C’est le symbole représenté sur les nombreuses banderoles accrochées aux grilles du siège social d’Ecocert à L’isle Jourdain dans le Gers. « Nous avons détourné le logo de l’entreprise, une hirondelle rouge prenant son envol, car pour nous désormais cet oiseau est en deuil », explique, A., salariée qui a endossé, pour le quatrième jour consécutif, son costume d’hirondelle rebelle : un tee-shirt blanc où il est inscrit en toutes lettres « Ecocert en grève ».
En ce vendredi après-midi 10 avril, une trentaine d’employés tient le piquet de grève devant les bureaux du siège social d’Ecocert, numéro un mondial de la certification des produits biologiques. Sur le parking, les salariés ont planté des parasols et une table de pique-nique. Lunettes de soleil chaussées sur le nez, ils profitent d’une vue imprenable sur le paysage vallonné du Gers. L’ambiance « camping » pourrait être bon enfant, mais il y a de l’électricité dans l’air. Des négociations ardues avec la direction sont en cours à quelques mètres de là.
Depuis mardi 7 avril, 70 à 75 % des 180 salariés d’Ecocert France ont cessé le travail pour une seule et unique revendication : une augmentation de salaire de 120 euros brut par mois. Dix ans qu’Ecocert n’avait pas connu un tel mouvement social. « La situation est explosive à cause des refus répétés de la direction de revaloriser les salaires malgré les profits engrangés par l’entreprise » martèle Thomas Vacheron. Le fringant délégué CGT a marqué une pause dans sa rencontre avec les dirigeants pour fait le point devant l’assemblée des grévistes. (...)
Le co-fondateur d’Ecocert est aujourd’hui amer : « On est passé du modèle babaoïde au modèle libéraloïde ! » s’exclame-t-il. C’est qu’entre temps, Ecocert s’est développée sur un mode capitaliste grâce à un montage complexe. La SARL des débuts a été transformée en Société anonyme, Ecocert S.A. Laquelle chapeaute une myriade de filiales dont Ecocert France, l’employeur des salariés aujourd’hui en grève. A la surprise générale, ces mêmes salariés ont découvert à l’automne dernier qu’une holding nommée Sylvestris était en fait la propriétaire d’Ecocert S.A. depuis huit ans. « C’est un paratonnerre au dessus de la maison » ironise Thomas Vacheron.
Un paratonnerre opulent dans tous les cas. Selon des documents que Reporterre s’est procuré, William Vidal et ses deux enfants sont les seuls gérants de Sylvestris, une société par actions simplifiés au capital de plus de 5 600 000 euros en juin 2013. Un apport de 2 080 actions d’Ecocert SA (soit 47,30 % du capital) d’une valeur de 14 188 636 d’euros a été effectué au cours de cette même année.
Ces chiffres font tourner la tête quand on les compare à ceux affichés sur les bulletins de salaires des employés. Ceux-ci questionnent aussi l’aide de l’Etat au leader de la certification des produits biologiques. (...)
« La direction ne voit plus les gens qu’elle a sous son nez, nous ne parlons plus le même langage », se désole Sandrine. Elle se gausse du slogan choisit par Ecocert, « Au service de l’homme et de l’environnement » : « William Vidal court les conférences pour expliquer qu’un business responsable est possible mais ce n’est pas vrai, il ne pense qu’au profit et ce double discours finit par énerver alors qu’on demande juste à ce que notre travail soit reconnu à sa juste valeur ». Employée depuis 17 ans, déléguée du comité d’entreprise, « l’auditrice » qui couvre cinq départements du Sud-Ouest ne compte pas ses heures. « On en arrive à faire du bénévolat, parce que si l’on travaille dans le bio c’est par conviction, pas pour devenir milliardaire ». Ce qui semble pourtant être un dessein pour l’entreprise bio-business.
Sollicitée par Reporterre, la direction n’a pas souhaité répondre à notre demande d’interview (...)