
Un chantier de seize réservoirs d’eau géants destinés à l’agriculture a débuté fin septembre près du marais poitevin. Symboles de l’agro-industrie, asséchant les sols, ces méga-bassines déclenchent une forte contestation.
Présentées comme une solution aux problèmes d’irrigation agricole, le creusement de seize réserves d’eau artificielles – des « méga-bassines » – sont prévues dans le Marais poitevin. Elles cristallisent les tensions entre deux camps bien distincts. D’un côté, la Coop de l’eau 79 : l’entreprise porteuse du projet est une société coopérative anonyme créée en 2011 à l’initiative des élus de la chambre d’agriculture des Deux-Sèvres et de Coop de France Poitou-Charentes (la fédération des coopératives agricoles). Elle est dirigée par Thierry Boudaud, notamment président de l’association des irrigants des Deux-Sèvres, Aquanide, et affilié au syndicat agricole FNSEA. De l’autre, le collectif « Bassines non merci », la Confédération paysanne, le mouvement « Les Soulèvements de la terre » et différents activistes s’opposent à ces projets.
S’étendant sur 110 000 hectares, le Marais poitevin est la plus grande zone humide européenne de la façade atlantique et la deuxième zone humide de France, après la Camargue. Les seize réserves d’eau prévues nécessitent de raser totalement une surface pour la recouvrir d’un plastique noir afin d’y stocker la précieuse ressource. Ce seront donc, pour chacune de ces méga-bassines, l’équivalent de dix grands terrains de foot (10 hectares en tout) qui seront plastifiés, sur un sol creusé jusqu’à 15 mètres de profondeur… Adoubées par la FNSEA, elles promettent de stocker l’eau durant l’hiver afin d’irriguer les cultures en été, à une époque où les épisodes de sécheresse sont toujours plus nombreux. Leur remplissage se fait par le captage des eaux de pluie mais surtout par pompage dans le milieu naturel (nappes et rivières), « pendant les périodes où la ressource est largement excédentaire » argumente la Coop de l’eau.
« C’est de l’eau qui aurait dû se retrouver dans les sols ou dans les cours d’eau »
De quoi inquiéter sérieusement les opposants au projet qui craignent de voir les rivières environnantes pillées. L’Agence régionale de la santé Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes avait d’ailleurs émis en 2016 un avis défavorable au projet, notamment faute de garanties suffisantes. Appauvrir des milieux aquatiques naturels pour remplir des bassines plastifiées, l’idée a de quoi étonner, d’autant que la masse d’eau stockée peut en plus s’évaporer lors d’épisodes caniculaires estivaux... « C’est un contresens de créer des réservoirs d’eau en surface. L’eau récoltée dans les réservoirs, c’est de l’eau qui aurait dû se retrouver dans les sols ou dans les cours d’eau », pointe Christian Amblard, spécialiste de l’eau et des systèmes hydrobiologiques et directeur de recherche honoraire au CNRS, au micro de nos confrères de France Info. (...)
« Il existe déjà 25 bassines en Vendée », décompte Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci. « Les plus anciennes ont quinze ans et leur bilan est catastrophique. Autour d’elles, les rivières sont à sec. Ce projet global prévoit un millier de bassines sur l’ensemble du territoire français. Notre cause n’est pas locale mais bien nationale ! » clame-t-il. Dans la Vienne, une dizaine de méga-bassine sont déjà exploitées. « Deux d’entre elles ont eu de sévères soucis lors de leur conception », révèle Nicolas Fortin, de la Confédération paysanne de la Vienne. (...)
De plus, certaines rivières de la Vienne connaissent des assecs chaque été, entrainant même la mort de milliers de poissons comme en 2019. (...)
« Il n’existe pas de bilan officiel aujourd’hui de ces ouvrages et nous en demandons un. » Dans le Marais poitevin, le chantier de Mauzé-sur-le-Mignon constitue la première pierre au projet des seize méga-bassines. Au total, 200 hectares de terres agricoles seront « plastifiés » dans la Sèvre niortaise et le Marais poitevin pour un coût d’environ 40 millions d’euros, financé à 70 % par des fonds publics. (...)
Nicolas Girod, porte-parole national de la Confédération Paysanne. « Que les choses soient claires, on ne s’oppose pas au fait d’irriguer. Mais ce mode de stockage de l’eau n’est rien de moins qu’une privatisation d’un bien commun. Nous sommes opposés à ces bassines car elles ne servent qu’un seul modèle agricole : l’agriculture intensive » (...)
« L’eau doit être partagée et il faut décider collectivement ce que nous voulons en faire. Ce modèle souhaite produire du maïs en grains et concurrencer le Brésil et l’Ukraine. À la Confédération paysanne, nous souhaitons irriguer des légumes pour une production plus locale et de qualité » (...)
« L’eau doit être partagée et il faut décider collectivement ce que nous voulons en faire. Ce modèle souhaite produire du maïs en grains et concurrencer le Brésil et l’Ukraine. À la Confédération paysanne, nous souhaitons irriguer des légumes pour une production plus locale et de qualité » (...)
« Une vache n’est pas faite pour manger du maïs, mais de l’herbe », s’agace Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci. Au-delà de l’usage de toute cette eau stockée, c’est sa source qui fait débat, chaque camp ayant un discours bien distinct. Le ministre de l’Agriculture, Julien de Normandie, lors du congrès de la FNSEA fin septembre, a tenu devant les caméras à minimiser le pompage dans les rivières voisines pour remplir les bassines mais a insisté sur les « pluies diluviennes qui surviennent en plein hiver, quand votre nappe phréatique est pleine, que votre sol est gorgé d’eau et que l’eau s’écoule. Là, si vous captez, ça n’a pas d’impact ». Une idée que balaye Benoît Biteau, député européen écologiste. « Dans un moment de fort réchauffement climatique, on nous propose un système qui va puiser dans les nappes l’eau de plus en plus rare. Avec de tels projets, nous ne sommes pas au rendez-vous de l’histoire » , clame l’eurodéputé.
Glissement de terrain... juridique
Vitrine touristique et symbole de la région, le Marais poitevin est le seul parc naturel français à s’être fait retirer ce label, en 1996, à cause, déjà, de l’assèchement d’une vaste zone humide au profit de cultures céréalières. Il a récupéré son label en 2014 mais semble à nouveau menacé par l’agriculture et l’arrivée des méga-bassines. (...)
« L’eau doit être partagée et il faut décider collectivement ce que nous voulons en faire. Ce modèle souhaite produire du maïs en grains et concurrencer le Brésil et l’Ukraine. À la Confédération paysanne, nous souhaitons irriguer des légumes pour une production plus locale et de qualité » (...)
« Une vache n’est pas faite pour manger du maïs, mais de l’herbe », s’agace Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci. Au-delà de l’usage de toute cette eau stockée, c’est sa source qui fait débat, chaque camp ayant un discours bien distinct. Le ministre de l’Agriculture, Julien de Normandie, lors du congrès de la FNSEA fin septembre, a tenu devant les caméras à minimiser le pompage dans les rivières voisines pour remplir les bassines mais a insisté sur les « pluies diluviennes qui surviennent en plein hiver, quand votre nappe phréatique est pleine, que votre sol est gorgé d’eau et que l’eau s’écoule. Là, si vous captez, ça n’a pas d’impact ». Une idée que balaye Benoît Biteau, député européen écologiste. « Dans un moment de fort réchauffement climatique, on nous propose un système qui va puiser dans les nappes l’eau de plus en plus rare. Avec de tels projets, nous ne sommes pas au rendez-vous de l’histoire » , clame l’eurodéputé.
Glissement de terrain... juridique
Vitrine touristique et symbole de la région, le Marais poitevin est le seul parc naturel français à s’être fait retirer ce label, en 1996, à cause, déjà, de l’assèchement d’une vaste zone humide au profit de cultures céréalières. Il a récupéré son label en 2014 mais semble à nouveau menacé par l’agriculture et l’arrivée des méga-bassines. (...)
En janvier 2021 les opposants ont saisi le Parlement européen (la commission PETI, commission des pétitions) pour dénoncer la violation de neuf directives européennes, dont la directive-cadre sur l’eau. S’en est suivi une audition en mars qui a été très favorable aux opposants. « Il existe une possible non-conformité des projets de méga-bassines avec six directives européennes et un risque de voir la France sanctionnée par la Cour européenne de justice », alerte-t-il. La Commission européenne a récemment fait part de sa vigilance sur « ce cas complexe qui rejoint sa préoccupation générale de la protection de la ressource en eau ».
Le contrôle des eaux souterraines par la France doit donc être renforcé, ainsi que la lutte contre les pénuries d’eau et les « captages excessifs ». (...)
La précipitation des travaux d’aménagements malgré les procédures et la forte mobilisation du 22 septembre semblent avoir refroidi les membres de Deux-Sèvres Nature Environnement. Pour continuer la lutte, Bassines non merci donne rendez-vous les 6 et 7 novembre prochains, pour une nouvelle action. (...)
La crainte d’une nouvelle ZAD
Ce 22 septembre 2021 serait-il le point de départ – médiatique et symbolique – d’une lutte nationale contre les méga-bassines ? C’était en tout cas l’impression qui se dégageait de la mobilisation organisée par le collectif Bassines non merci, la Confédération paysanne et les Soulèvements de la terre (qui démarraient à cette occasion leur deuxième saison).
« Nous considérons que quand l’État bafoue le droit les citoyens, l’insurrection est quasiment un devoir, comme la résistance », revendique Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci. Donc acte. (...)
L’action du 22 septembre a logiquement fait réagir tout ce beau monde, à commencer par Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, qui a exhorté le ministre à « imposer avec autorité l’application des décisions administratives et être ferme pour empêcher la naissance de nouvelles ZAD dans les Deux-Sèvres ou ailleurs ». La Coop de l’eau 79, porteuse du projet des méga-bassines, a annoncé avoir porté plainte et fait part « d’actions de sabotage » depuis sur le chantier.
Enfin, une mystérieuse vidéo a été postée sur Vimeo le 5 octobre présentant le « démantèlement d’une méga-bassine » sur la commune de La Laigne (Charente-Maritime) avec carrément un tuto pour saboter soi-même (et facilement) l’ouvrage... Contactée par nos soins, la gendarmerie locale a admis détenir des « éléments à ce sujet », mais sans vouloir en dire davantage.