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Reporterre
Les normes écrasent les agriculteurs
Article mis en ligne le 18 juillet 2018
dernière modification le 17 juillet 2018

C’est la hantise de nombreux paysans : un seul contrôle peut faire basculer leur ferme dans la crise. Pour les aider, la Confédération paysanne a publié un « Guide des droits et devoirs ». Mais beaucoup de normes sont conçues pour les grosses exploitations plutôt que pour les petites fermes.

Il y a à peine plus d’un an, c’est après avoir fui un contrôle sur sa ferme que l’éleveur Jérôme Laronze, 37 ans, était tué par un gendarme. Une série de déboires administratifs avaient poussé l’agriculteur à bout. Se sentant victime de harcèlement, le jour où les contrôleurs, à l’aide de nombreux gendarmes, étaient venus recenser ses vaches en vue de les lui retirer, il était parti en cavale. L’affaire, suivie par Reporterre, s’est terminée par ce que la famille dénonce comme une bavure policière.

Cette histoire tragique a secoué de nombreux paysans. « À la suite de cette affaire, on s’est dit qu’on avait besoin d’un outil pour mieux faire face aux contrôles », raconte Cécile Muret, secrétaire nationale de la Confédération paysanne, présentant le Guide des droits et devoirs en situation de contrôle. Car, si les relations avec l’administration se passent « globalement » bien, reste que les contrôles sont souvent mal vécus par les agriculteurs. « Pourquoi les contrôles sur place ne sont-ils donc pas toujours naturellement l’objet d’un dialogue apaisé ? » s’interrogeait également un rapport commandé par le ministère de l’Agriculture en 2015.

« On revendique le fait que, pour vivre en collectif, il faut des normes et des contrôles, poursuit la paysanne. Et les agriculteurs recevant de l’argent public, il faut une transparence vis-à-vis des citoyens. Mais, même un agriculteur qui fait tout pour être en règle, quand il est contrôlé, va être en situation de stress. » Car les sanctions et l’impact sur la ferme peuvent être lourds : diminution ou suppression des aides, poursuites administratives et judiciaires, interdiction de mouvement des animaux voire abattage, blocage de certaines activités…

« Le dicton “nul ne peut ignorer la loi” devient fallacieux »
Le guide, diffusé depuis mardi 10 juillet, vise donc à informer les paysans de leurs droits avant, pendant et après le contrôle.(...)

Certains agriculteurs sont plus contrôlés que d’autres : les éleveurs et ceux qui fabriquent des produits à la ferme ont plus de normes à respecter que les cultivateurs et maraîchers. Mais, quelle que soit l’activité, les normes à respecter en agriculture sont foisonnantes, les raisons de contrôler les paysans tout aussi nombreuses (...)

« Quand on fait une déclaration PAC, le nombre de normes à respecter est tellement énorme que le dicton “nul ne peut ignorer la loi” devient fallacieux », constate la représentante syndicale. Des services payants sont même proposés aux agriculteurs pour remplir ce complexe document à leur place. « On n’est jamais vraiment dans les règles, elles évoluent tout le temps. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas », estime de son côté Olivier Niol, éleveur de volailles dans le Morbihan, lui aussi adhérent de la Confédération paysanne.

C’est alors la loterie. Tout peut changer en fonction du contrôleur sur lequel tombe le paysan et des services auxquels il a affaire, estime Cécile Muret(...)

Un sentiment d’irréalité face à des demandes administratives inadaptées au concret du terrain saisit aussi certains agriculteurs. « J’ai eu un contrôle assez étrange sur les surfaces pâturées par mes bêtes, raconte Christophe Morantin, éleveur de brebis et maraîcher dans la Drôme. Eux ont un GPS et un écran avec des images satellite, et il faut faire correspondre avec les broussailles, les amas de pierres, les forêts. Heureusement, je ne m’étais pas trop mal débrouillé dans ma déclaration. Sinon, le risque est d’avoir à rembourser des sommes importantes alors que dans la très grande majorité des cas, l’erreur n’est pas volontaire. (...)

On ressent de l’impuissance et de l’injustice, surtout quand on voit que Lactalis ou la ferme “des 1.000 vaches” font des erreurs infiniment plus grandes et échappent aux sanctions. »

« Ceux qui sont en marge renoncent aux aides et risquent de disparaître »
Autre témoignage recueilli par Reporterre lors d’une veillée en mémoire de Jérôme Laronze : un éleveur de vaches de la région était accusé de mal nourrir certaines de ses vaches… C’était en fait les vieilles, qui avaient perdu de leur vigueur et qu’il se refusait à emmener à l’abattoir. « Mais il n’y a pas de case pour les vieilles vaches dans le formulaire », nous expliquait-il alors.(...)

La Confédération paysanne propose donc de faire évoluer la vision du contrôle, qui pourrait être envisagé comme une évaluation permettant à l’agriculteur d’améliorer ses pratiques. Le syndicat recommande aussi aux agriculteurs, dès qu’ils en ressentent le besoin, de se faire accompagner afin de ne pas être seuls face à, potentiellement, plusieurs agents.

Le rapport de 2015 préconisait une circulaire afin de diffuser de « bonnes pratiques ». Force est de constater que ces recommandations ne fonctionnent pas partout. « On reste dans le rapport de force », observe Olivier Niol. Il l’assume franchement, et recommande de jouer collectif. (...)