
« Ma fi khawf baad al-yawm ! » [« Plus de peur à partir d’aujourd’hui ! »], scandaient les habitants de Deraa le 18 mars dernier. Alors que la répression s’intensifiait, les manifestants rejetaient la culture de la peur
Cette révolte n’est pas seulement politique ; elle témoigne également d’une situation économique et sociale dégradée, les manifestants provenant largement des secteurs sociaux défavorisés. A travers le rejet de la corruption se manifestent celui des réseaux clientélistes du régime et la demande d’une répartition plus juste des richesses, ainsi que des emplois. Ceux-ci sont conditionnés à l’appartenance au parti Baas ou à certaines communautés confessionnelles, notamment les alaouites et, dans une moindre mesure les chrétiens. Un non-dit officiel, bien connu de ceux qui n’appartiennent à aucune des deux catégories privilégiées : « Ils ont mangé l’œuf et sa coquille et nous ont laissés sur la paille »(...)
Tous ces slogans et mots d’ordre marquent une rupture majeure avec l’idéologie des partis politiques du Proche-Orient au XXe siècle : rien n’y vient rappeler ni le nationalisme arabe ni l’islamisme. (...)
L’intifada syrienne fonctionne en rupture avec le passé politique du pays, tout en reproduisant des représentations déjà actives dans les mobilisations du XXe siècle : place de la mosquée dans l’espace urbain ; son rôle de refuge (où les blessés, les pourchassés devraient pouvoir se réfugier) ; culture islamique dans les slogans (« Allahu Akbar ») ; figure du militant, synthèse de celles anciennes du héros et du martyr sur la base de deux valeurs de référence — la virilité et la vertu — s’ancrant dans un territoire... Elle est le fruit à la fois d’une conjoncture régionale et d’évolutions internes. Elle est profondément populaire et patriotique, un patriotisme qui, paradoxalement, a été instillé et cultivé par l’école publique du Baas, un peu à l’image de ce qu’a accompli la IIIe République en France.(...)
L’avenir du soulèvement, privé de tout soutien extérieur, régional ou international, dépend de sa capacité de mobilisation et de paramètres incertains : divisions au sein de l’armée, ralliement de chefs religieux, de personnalités ou de villages des communautés minoritaires. Les manifestants le savent et l’appel aux minorités druze, chrétienne et alaouite, au nom de l’unité nationale, revient sans cesse dans la rue. Ceux lancés à l’armée sont encore peu nombreux(...) Wikio