
Un journal doit-il militer ? Le Guardian, l’un des plus grands quotidiens britanniques a choisi de répondre oui. Depuis le début de l’année une équipe d’une dizaine de personnes s’occupe à plein temps de la campagne « Keep it in the ground » (laissez-le dans le sol) et cherche des noises aux entreprises qui extraient les énergies fossiles.
(...) le quotidien britannique a choisi d’appuyer le mouvement de « désinvestissement » qui fait pression sur toutes sortes d’investisseurs afin qu’ils arrêtent de financer les entreprises extractrices des ressources fossiles. Le Guardian centre son action sur la fondation Bill Gates et le Wellcome Trust, une fondation spécialisée dans la biomédecine. Le site du journal affiche ainsi une pétition : « Demandez avec nous à la fondation Billes Gates et au Wellcome Trust de s’engager maintenant à désinvestir des 200 premières entreprises d’énergies fossiles d’ici à cinq ans. » Plus de 220 000 signatures ont déjà été recueillies. (...)
Faire du climat une question morale
Un grand journal britannique qui entre en campagne et qui poursuit des multinationales, c’est l’histoire d’Alan Rusbridger, rédacteur en chef sur le départ et anxieux de ne pas avoir donné au climat toute l’importance qu’il méritait pendant vingt ans. Le Guardian fait pourtant partie des journaux qui traitent le mieux l’environnement dans le paysage anglo-saxon et sa rubrique sur le sujet attire à elle seule 4 millions de visiteurs par mois sur le site du journal. Mais en décembre 2014, Rusbridger a voulu mettre à profit ses six derniers mois à la tête du journal pour faire du réchauffement climatique une question morale.
Début janvier, il réunit une vingtaine de personnes pour en parler. « C’était étrange, il y avait des gens de toutes les sections du journal, se souvient James Randerson, responsable éditorial de la campagne, Alan voulait vraiment que ça soit un effort de toute la rédaction. » Journaliste scientifique, James Randerson a toujours suivi les questions environnementales avec intérêt. Auparavant assistant du rédacteur en chef, il n’a pas hésité à se lancer quand Alan Rusbridger lui a demandé de gérer le projet : « J’ai pensé que c’était une opportunité incroyable, c’est très rare qu’un rédacteur en chef dise : nous allons consacrer plus de moyens pour couvrir ce sujet et dire que c’est la plus grande histoire de notre temps. »
Au total, l’équipe de campagne compte neuf journalistes à plein temps, et une équipe de vingt-six personnes qui contribuent régulièrement à la campagne (aussi des services audio, vidéo et artistique). En plus de suivre le mouvement de désinvestissement à travers le monde, l’accent a aussi été mis sur le multimedia et les nouvelles formes de « story telling », l’art de raconter des histoires. (...)
Ce traitement global de la campagne a reçu un large écho à travers le monde. « J’ai parlé à une professeure en Chine qui s’inquiétait de la pollution de l’air, à une autre personne dans les Caraïbes qui tient une station météorologique et me parle des changements climatiques, je me suis vraiment rendu compte que l’audience du Guardian était globale », dit Emma Howard. Journaliste au Guardian depuis moins de deux ans, elle n’a jamais cessé d’être engagée dans la société civile. Faire campagne était donc pour elle tout naturel : « J’ai bien aimé voir que toutes les sections du journal pouvaient traiter le sujet, j’aimerais que ça arrive plus souvent »,dit-elle.
Le changement climatique au cœur de la rédaction
« Je pense que faire campagne a donné une énergie en plus à ce projet », renchérit James Randerson. Une énergie tangible dans le podcast de la campagne appelé « The biggest story in the world ». Une émission dans laquelle la journaliste Aleks Krotoski guide l’auditeur semaine après semaine au milieu des interrogations des journalistes.
Quelques heures d’enregistrements passionnants pour quiconque s’est déjà posé la question suivante : comment parler du réchauffement climatique ? En partageant leurs doutes et leurs conversations, les journalistes et leurs équipes abordent les sujets qui taraudent notre temps : pourquoi est-il si difficile de se soucier du climat ? Pourquoi faut-il en faire une question démocratique et politique plutôt que consumériste ? Les journalistes questionnent les liens entre réchauffement et économie (faut-il maintenir le statu quo, choisir l’économie verte ou la décroissance ?), s’interrogent sur la religion et la spiritualité. L’auditeur les suit progressivement dans leur choix de devenir des journalistes engagés. (...)