
Les médias à la plus forte audience doivent avoir un traitement des enjeux environnementaux à la hauteur de la situation. Pour les y aider, un collectif de médias, dont Reporterre, et de journalistes a élaboré une Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique.
Dans un livre troublant publié en 2018 [1], Daniel Schneidermann raconte comment, durant la décennie 1930, les médias français, anglais et étasuniens, à de rares exceptions près, n’ont pas saisi ou pas voulu voir la violence idéologique d’Adolf Hitler, qui venait d’arriver au pouvoir. Cette cécité collective a largement contribué à l’enchaînement terrible qui a conduit aux désastres de la Deuxième Guerre mondiale. À la fin de son livre, Schneidermann interroge : qu’est-ce qui se passe aujourd’hui et que les médias ne verraient pas, ou mal ? La catastrophe écologique en cours est un de ces points possibles d’aveuglement. (...)
on pourrait atteindre des seuils, ou points de bascule (tipping points), tels que se produiraient des effets irréversibles, s’enchaînant les uns aux autres, et s’amplifiant sans limitation possible. Et le fait que ces seuils commencent à être franchis devient de plus en plus vraisemblable, comme le montre une autre étude récente.
À vrai dire, rien de tout ceci n’est vraiment nouveau : il s’agit de la confirmation et du couronnement d’hypothèses élaborées depuis les années 1980, et qui n’ont cessé d’être étayées de plus en plus solidement sur le plan scientifique. Oui, le monde est dans un état de danger majeur !
Aller plus loin que l’épisodique
Mais alors que les alertes pleuvent depuis des décennies, et que, surtout, tous les compartiments de la biosphère manifestent une dégradation de plus en plus rapide et prononcée, l’appareil médiatique continue à traiter la question écologique comme un phénomène secondaire. Elle fera épisodiquement la « Une » en cas de trop forte chaleur ou d’inondations ravageuses, mais sans entraîner un traitement à la mesure des désastres potentiels qu’on peut appréhender si rien ne change. Or les médias ont un rôle essentiel pour influencer une société et l’orienter dans une direction ou une autre.
Si des médias indépendants comme Reporterre lancent l’alerte, informent sur les connaissances scientifiques, racontent les luttes contre la destruction du monde et relatent les initiatives qui explorent les alternatives, les grands médias audiovisuels restent encore trop inconscients du problème, ou du moins timorés.
Mais les choses peuvent changer, et vont changer en France. Tout est parti d’une initiative citoyenne, quand des gens se sont réunis dans un collectif appelé Climat médias, pour houspiller les médias mainstream à propos de leur traitement lacunaire des grands enjeux écologiques. Ils ont notamment été scandalisés quand, en août 2021, le transfert d’un joueur de football vers le PSG a occupé beaucoup plus d’espace dans les journaux télévisés que la publication d’un nouveau rapport du Giec ! L’initiative de Climat médias a fait tilt, des journalistes ont réagi, et un collectif s’est formé dans le but d’élaborer une charte du journalisme sur l’écologie. (...)
Tourner pour éviter le pire
Reporterre s’est joint à cette démarche regroupant les médias Vert et Climax, et des journalistes de France 2, France Info, RFI, ainsi que l’Association des journalistes pour la nature et l’écologie (JNE). Le collectif a élaboré une Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique, qui sera dévoilée mercredi 14 septembre lors d’une soirée publique à Paris. La bonne nouvelle, c’est que la Charte, et une tribune qui l’accompagne et qui sera publiée également le 14 septembre, recueillent parmi la profession journalistique un engouement spectaculaire. Par ailleurs, Radio France a annoncé son « tournant environnemental », tandis que France Télévisions annonce la création d’une cellule dédiée au climat et à la biodiversité dans sa rédaction. (...)