
Tout le monde connaît tout le monde dans le village de Vavyloi, sur l’île grecque de Chios. Cette familiarité s’est longtemps traduite par une absence de criminalité et par un sentiment de sécurité. Mais tout a changé il y a environ un mois, lorsque des paysans ont remarqué que des oignons et des pommes de terre de leurs champs avaient été subtilisés dans la nuit. Et quand leurs maisons ont commencé à se faire cambrioler, les villageois se sont regroupés par quatre pour former des patrouilles nocturnes.
(...) Rachetées l’année dernière par la municipalité pour accueillir les réfugiés, la nef caverneuse en béton et la zone grillagée adjacente où ont été installés des mobile homes devaient servir de centre de rétention fermé pour les demandeurs d’asile en attente, ce qu’on appelle communément un « hotspot ». Mais l’accord entre l’Union européenne (UE) et la Turquie est entré en vigueur en mars et a changé la donne.
Six mois plus tard, Chios accueille 3 800 migrants et réfugiés, soit trois fois le nombre pour lequel le camp de VIAL avait été conçu. Tous sont libres de se déplacer sur l’île. (...)
Un accord délétère
L’accord entre l’UE et la Turquie a modifié l’opinion sur les migrations ici. Quand, à l’été 2015, les réfugiés transitaient sur l’île avant de poursuivre vers les Balkans, les îliens leur offraient de la nourriture, des vêtements et de l’aide. Mais depuis qu’ils y restent immobilisés et que leur nombre augmente, leur présence commence à peser sur les ressources locales.
L’accord prévoit qu’en échange d’une enveloppe de six milliards d’euros versée par l’UE sur deux ans et de la promesse de Bruxelles d’assouplir les règles d’octroi de visas pour les ressortissants turcs, la Turquie s’engage à empêcher le plus possible de réfugiés de quitter ses côtes et à réadmettre immédiatement ceux qui seraient interceptés dans ses eaux territoriales. La Turquie a également accepté d’accueillir les réfugiés et demandeurs d’asile renvoyés de Grèce au prétexte (contesté par des défenseurs des droits de l’homme) que la Turquie est un pays tiers sûr. L’accord semble avoir eu l’effet souhaité : cette année, la Grèce a compté 166 000 nouveaux arrivants, contre 385 000 l’année dernière sur la même période.
Mais cet accord a également transformé les îles grecques de l’est de la mer Égée en centres de rétention. (...)
« L’accord UE-Turquie a limité les flux [de réfugiés], mais il détruit l’économie, il détruit le sentiment de sécurité et, il détruit ainsi la cohésion sociale », a dit à IRIN Manolis Vournous, maire de Chios.
Criminalité du désespoir
La surpopulation et le mécontentement croissant des réfugiés ont alimenté les émeutes et l’incendie qui ont ravagé le hotspot de Moria, à Lesbos, la semaine dernière. La tension monte également à Chios, où M. Vournos a décrit les îliens et les réfugiés comme des codétenus. « La rétention [des réfugiés] n’est pas vraiment gérée », a-t-il dit à IRIN. « Elle se cantonne simplement aux limites naturelles de l’île. L’eau est la seule barrière. Mais cela concerne aussi [les] 50 000 habitants de Chios. »
Marios et plusieurs autres réfugiés syriens dorment à même le sol dans le petit théâtre municipal de l’île. Un rideau improvisé avec des couvertures pendues à une corde sépare les hommes de la zone réservée aux femmes et aux enfants.
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L’échec de la politique de migration européenne
« Les conditions ici sont terribles », a dit Marios à IRIN, admettant volontiers que les réfugiés sont si désespérés qu’ils apprennent à voler. (...)
Les demandeurs d’asile sont autorisés à travailler, mais les petites économies insulaires n’offrent pas suffisamment d’opportunités pour des milliers de travailleurs étrangers et le chômage est actuellement de 23 pour cent en Grèce. C’est le taux le plus élevé d’Europe.
L’économie de Chios a subi des coups durs indépendants de la présence des migrants. Le tourisme est en baisse, comme en témoigne le nombre d’arrivées par avion, qui est passé de plus de 16 000 il y a huit ans à à peine plus de 7 000 en 2015. Cette année, un incendie a par ailleurs dévasté les plantations de lentisques. Le mastic qui en est issu et ses produits dérivés sont la spécialité de Chios depuis l’Empire ottoman.
Le sentiment d’insécurité et les pressions économiques ont contribué aux débats houleux quant à l’hébergement des réfugiés. (...)
« Chaque jour, l’île reçoit en moyenne 120 nouveaux arrivants et pas plus de 50 demandes d’asile font l’objet d’une décision, tandis que 9 000 demandeurs attendent encore », a dit Christiana Kalogirou, préfète de la région d’Égée du Nord. « Le problème critique est donc [le manque] d’effectif des services d’asile ».
Les tensions sur l’île auraient pourtant pu être atténuées. Il y a un an, les membres de l’UE ont accepté de réinstaller 160 000 demandeurs d’asile de Grèce et d’Italie. En ce qui concerne la Grèce, seulement 4 776 réinstallations ont jusqu’à présent été menées à bien. Une mise en œuvre lente d’un engagement « nettement insuffisant », a déploré le Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). (...)