Honnêtement, vous auriez du fric à prêter à un pote en manque, le prêteriez-vous… en lui versant vous-même un taux d’intérêt ? Eh bien, c’est ce que font depuis quelque temps les investisseurs. Ils prêtent à taux d’intérêt négatifs à des pays et à des organismes comme l’Allemagne, la France, la Belgique, le Fonds européen de stabilité financière (FESF)…
Vous proposez un tel deal à votre pote pour qu’il accepte votre pognon et il se marre en s’inquiétant de votre santé mentale, vous êtes bien d’accord ? Frédéric Lordon, dans son dernier billet, rigole aussi et interroge :
« Pourquoi des agents économiques supposément rationnels en viennent-ils à accepter de payer pour prêter (!) alors qu’ils pourraient simplement rester liquides ? »
“Rester liquides”, c’est-à-dire garder leur blé en cash sonnant et trébuchant. La fameuse monnaie fiduciaire, à taux zéro certes — en tout cas pas négatif — et garanti sans risques par définition. (...)
En conclusion, dit Lordon, nos investisseurs par leurs actes incompréhensibles, portent « des jugements implicites sur la situation européenne qui disent plus l’imminence de la catastrophe que le bonheur des emprunteurs… » (...)
On peut en tout cas douter de la pertinence de leurs paris. Car les pays et les institutions jugés encore “plus sûrs” pourraient ne pas le rester très longtemps. Comme vient de le signifier l’agence Moody’s en portant la note de trois “épargnés de la crise”, dont l’Allemagne, sous perspective négative.
Mais on entre là dans une constante comportementale de notre petit être humain, fût-il financier éclairé : sa totale incapacité à envisager que son petit monde puisse être fini. De là à conclure que les investisseurs sont aussi bêtes que le douanier de Fernand Raynaud est un pas que l’on peut assurément franchir.
Bêtes et un peu paumés sur les bords. Car en vérité je crois qu’on peut rajouter une hypothèse à celles de Lordon : pressés par la “Grande perdition”, les riches, tels l’avare de Molière, ne savent plus trop où et comment sécuriser leur magot. Et paient désormais pour essayer de mettre leur « chère cassette » à l’abri.