
« Notre devoir : sauver deux cents ans d’histoire. » Accrochées aux barreaux de l’imposant portail recouvert de lierre, les banderoles donnent le ton. Troncs d’arbres et parpaings condamnent tout accès à l’enceinte. Derrière les murs hauts de trois mètres, s’échappent quelques notes de guitare. Depuis mardi 16 mars, les étudiants de l’école d’ingénieur AgroParisTech se sont barricadés dans leur domaine de Thiverval-Grignon, à l’ouest de Paris. Ils réclament d’être entendus par le ministère de l’Agriculture, propriétaire du site, bien décidé à le vendre.
Lundi 15 mars, près de trois cents étudiants se sont réunis en assemblée générale. À l’issue des discussions, ils ont procédé à un scrutin pour choisir ou non de bloquer le site. Et le résultat est sans appel : 82 % des votes approuvaient le recours à cette stratégie. (...)
Assis au premier rang de l’amphithéâtre vide de toute âme, Elias, étudiant, raconte qu’il n’y avait plus une seconde à perdre : « Le 26 mars, ce sera la fin de l’appel d’offres de l’État. C’est-à-dire qu’à partir de ce jour-là, le jury chargé du dossier va délibérer pour déterminer le client retenu pour racheter Grignon. Jusqu’à cette date, le ministère peut encore parfaitement revenir sur l’appel d’offres, le retarder, l’interrompre, voire l’annuler. » (...)
« Cette décision a été prise d’en haut, sans concertation. Aujourd’hui, rien ne nécessitait qu’on déménage sur le plateau de Saclay. S’ils nous imposent ça, c’est juste pour centraliser les grandes écoles à l’université de Paris-Saclay afin d’en faire un campus compétitif à l’international », se désole Juliette, étudiante en première année à AgroParisTech. (...)
« Le déménagement se fera. C’est acté, personne ne reviendra dessus et on en est tous conscients. Aujourd’hui, la question est de savoir qui va récupérer le site. On ne veut pas que ce patrimoine historique et ses écosystèmes rares et fragiles soient laissés aux mains d’un promoteur immobilier qui ne pensera qu’à bétonner. »
Pour ce faire, les contestataires demandent une révision des critères de sélection des potentiels acheteurs. À l’heure actuelle, l’analyse des candidatures se fonde sur trois éléments : les capacités financières d’investissement, d’une part ; les capacités techniques à répondre avec pertinence ; et puis, la notion plus nébuleuse des motivations du candidat au regard des enjeux urbains, patrimoniaux et économiques. Autrement dit, il n’est fait nulle part mention de la préservation des écosystèmes forestiers et des zones humides d’une considérable valeur écologique. (...)
Outre les bâtiments chargés d’histoire, dont certains sont déjà abandonnés depuis des années, les étudiants veulent conserver à tout prix l’arboretum : « Une multitude d’essences y ont été plantées dès le XVIIe siècle, dit Hugo, un autre étudiant. Avec ces deux cents espèces botaniques, il offre une collection forestière formidable ! » Si ces sites naturels sont protégés par le plan local d’urbanisme (PLU), celui-ci pourrait être modifié sous la pression des promoteurs immobiliers (...)
La rébellion a obtenu un premier résulat : vendredi 19 mars, en fin d’après-midi, les étudiants d’AgroParisTech ont rendez-vous avec Michel Leveque, conseiller du cabinet du ministre de l’Agriculture. Leurs revendications : la suspension immédiate du processus de vente et un droit de regard sur les futures décisions.