
Enveloppes de cash, œuvres d’art et comptes offshore : une enquête judiciaire a mis au jour un vaste système de blanchiment présumé entre la France et la Chine. Le consultant télé Driss Aït Youssef, expert auprès du ministère de l’intérieur, a été mis en examen dans ce dossier en compagnie du petit-fils de Charles Pasqua.
Omniprésent sur les plateaux télé, l’expert des questions de sécurité Driss Aït Youssef a connu une actualité judiciaire chargée au mois de septembre dernier. Ce consultant auprès du ministère de l’intérieur, intégré par Christophe Castaner au groupe de réflexion pour un nouveau schéma de maintien de l’ordre, a d’abord été condamné mais dispensé de peine dans une affaire de malversations liées à deux associations subventionnées à Marseille.
Les autres prévenus n’ont pas bénéficié de la même clémence, à commencer par l’ancien eurodéputé écologiste Karim Zéribi, condamné à deux ans de prison avec sursis, 50 000 euros d’amende et trois ans de privation des droits civiques et civils, peine dont il a fait appel.
Le tribunal a justifié la dispense de peine de Driss Aït Youssef, reconnu coupable de faits d’abus de confiance et qui n’a pas fait appel, « au regard de sa personnalité, son casier judiciaire vierge et ses gages d’insertion évidents ». Le consultant « n’a jamais été de nouveau mis en cause dans la commission d’une quelconque infraction », ont aussi relevé les juges.
En prononçant ces mots, les magistrats étaient alors bien loin d’imaginer la véritable raison de l’absence de M. Aït Youssef dans la salle d’audience : il était en garde à vue dans une autre affaire.
Le consultant était entendu dans le cadre d’une enquête conduite par un juge d’instruction du pôle financier du tribunal judiciaire de Paris, Dominique Blanc. Présenté au magistrat instructeur, M. Aït Youssef a été mis en examen pour des faits de « blanchiment en bande organisée », « faux et usage de faux ». (...)
Driss Aït Youssef est soupçonné d’avoir apporté son concours, entre janvier 2015 et septembre 2020, à un vaste système de blanchiment en établissant des fausses factures reposant sur des prestations fictives, ainsi que le précisent les termes de sa mise en examen. Questionné par Mediapart, le consultant explique n’avoir été « animé d’aucune intention frauduleuse » dans ce dossier (lire sa réponse en intégralité sous l’onglet « Prolonger »).
Selon les enquêteurs, il aurait gonflé des factures d’achat d’outils d’e-learning ou de mobilier de bureau au bénéfice de sociétés contrôlées par un certain James Nadjar. Il a reconnu, après l’avoir nié, avoir reçu, en échange de ces prestations, de l’argent liquide et des objets de luxe de la part de James Nadjar, ce que ce dernier a aussi reconnu. Driss Aït Youssef les justifie auprès de Mediapart en parlant de « sommes et des cadeaux de la part de l’un de mes amis, en contrepartie d’une activité d’apporteur d’affaires », et affirme « regrett[er] aujourd’hui de ne pas avoir formalisé contractuellement ces relations ».
Dans le même temps, les fonds versés aux sociétés contrôlées par James Nadjar ont pris la direction de comptes offshore pour terminer leur course en Chine, d’après l’enquête. (...)
Les factures ont été éditées par deux établissements d’apprentissage du Pôle universitaire Léonard-de-Vinci, familièrement surnommé « Fac Pasqua », dans le quartier d’affaires de La Défense (Hauts-de-Seine) : l’Institut Léonard-de-Vinci (qui a émis des virements à hauteur de 732 000 euros au bénéfice de deux sociétés contrôlées par James Nadjar) et l’association qui gère le centre de formation d’apprentis Sup’ de Vinci (157 000 euros pour les deux sociétés de James Nadjar).
Driss Aït Youssef, 40 ans, préside depuis 2011 l’Institut Léonard-de-Vinci, qui dispense des formations dans les domaines du management, de la santé ou du digital. « Il ne m’est reproché aucun fait susceptible d’avoir été commis au préjudice de l’Institut Léonard-de-Vinci », précise-t-il.
Le consultant a été précédemment rémunéré en 2009 et 2010 par le Rassemblement pour la France et l’indépendance de l’Europe (RPF-IE ou RPF), le parti politique de Charles Pasqua. (...)
Le centre de formation d’apprentis Sup’ de Vinci est pour sa part dirigé par Alexandre Pasqua, le petit-fils de Charles Pasqua, qui avait fondé en 1995 le pôle universitaire à grands coups d’argent public. Alexandre Pasqua a lui aussi été mis en examen, avec un autre employé du centre de formation, pour des faits de « blanchiment en bande organisée » et « faux et usage de faux » après avoir reconnu, selon les enquêteurs, avoir procédé à des opérations de décaissements.
Bien avant d’être mis en examen pour « blanchiment en bande organisée » dans cette affaire, et d’être condamné dans l’affaire marseillaise, Driss Aït Youssef tenait des discours sans concession sur la probité et la nécessité de servir l’intérêt général. (...)