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Ouest-France
Les enfants rapatriés de Syrie « montrent vite l’envie de vivre comme tous les enfants »
Article mis en ligne le 1er août 2022

Seize femmes djihadistes et trente-cinq enfants ont été rapatriés des camps syriens de déplacés en France, mardi 5 juillet 2022. Pour ces enfants qui ont vécu l’horreur, c’est le début d’un long parcours de reconstruction sur le plan psychologique. Entretien avec Thierry Baubet, professeur de pédopsychiatrie à l’hôpital Avicennes de Bobigny (Seine-Saint-Denis), qui les prend en charge.

(...) Juste après l’atterrissage, mères et enfants ont été séparés. Les mineurs ont été alors placés sous la protection de l’Aide sociale à l’enfance et ont débuté un long processus d’évaluation psychologique, mené notamment par le service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Dans ce service, un dispositif existe depuis 2017 pour les enfants de retour de zone de guerre. Plus d’une centaine de mineurs rentrés de zones d’opérations de groupements terroristes en Syrie ou Irak, y ont été pris en charge. (...)

À quoi ont-ils été confrontés ?

Sur place, ils ont dû vivre sous le régime de l’État Islamique et ont été victimes de la guerre, de bombardements, de destructions, de morts dans leur entourage… Ils ont aussi vécu les camps de détention, ce qui est extrêmement néfaste pour le développement d’un enfant car il n’y a ni scolarité, ni sécurité, ni soins. Dans ces camps, il y a beaucoup de violences physiques et sexuelles et les jeunes enfants en sont les premières victimes.

Quelle est la procédure lorsque ces enfants arrivent en France ? (...)

Quand les enfants arrivent, s’il y a des parents, il y a une séparation dès l’aéroport. Les familles sont prévenues en amont et les parents sont placés en détention provisoire. Les enfants sont alors confiés à l’Aide sociale à l’enfance où ils seront logés dans des familles d’accueil.

Un examen médical est-il réalisé ?

Oui, dès leur arrivée à l’aéroport, il y a un rapide examen médical pour être certain qu’il n’y a pas de pathologies nécessitant des soins d’urgence. Il y a toute une évaluation pédiatrique qui est conduite dans les quinze jours suivant l’arrivée : des pédiatres vont regarder très attentivement l’état de santé, l’état nutritionnel, les vaccinations… Dans le même temps, un service de psychopathologie commence l’évaluation psychologique et pédopsychiatrique, qui va s’étaler sur plusieurs mois.

Dans quel état psychologique sont ces enfants à leur arrivée ?

Ils sont complètement perdus, séparés de leurs parents s’ils en avaient un et sous le choc. Beaucoup ont des troubles liés aux traumatismes vécus, à l’exposition précoce à des situations de violence, de deuils, de pertes. Certains sont des bébés quasiment. Généralement, pour les très petits, la prise en charge se fait avec l’adulte qui prend soin de l’enfant.

Ils sont ensuite scolarisés le plus vite possible et puis très souvent ils ont des troubles post-traumatiques, des difficultés psychologiques, des problèmes d’anxiété, de dépression, de retard du développement qui font qu’ils ont besoin d’un suivi. Certains sont suivis depuis la création du dispositif, en 2017. (...)

Dans chaque région, il y a désormais un binôme pédopsychiatre/pédiatre qui s’est formé et préparé à l’accueil de ces enfants. (...)

Un enfant peut-il s’en sortir indemne psychologiquement ?

Ce ne sera jamais comme s’il avait vécu dans un environnement favorable, il y aura toujours des cicatrices et des blessures. Mais ce sont des enfants qui peuvent tout à fait reprendre un bon développement et dont les symptômes peuvent s’atténuer et même disparaître.

Avec les enfants, rien n’est irrémédiable car ils sont en situation de développement (...)

ils manifestent très vite l’envie de vivre comme tous les enfants, de jouer, de danser, d’aller à l’école, d’apprendre, de se faire des amis…

Ces enfants présentent-ils des comportements radicalisés ?

La radicalisation d’un enfant ne veut rien dire. Ils ont été élevés dans un environnement correspondant aux choix de leurs parents mais ils apprennent en arrivant en France qu’on peut être musulman et moins rigoriste. Très vite, ils s’ouvrent. Je n’ai jamais vu d’enfants qui restent sur des positions rigides telles qu’ils les ont connues en Syrie ou en Irak. (...)

Les enfants peuvent-ils retrouver leur famille élargie à terme ?

Oui, en général ça se passe bien et nous accompagnons aussi ces retrouvailles avec leur oncle, tante, grands-parents… Les enfants continuent à voir leurs parents en prison, qui ont toujours l’autorité parentale d’ailleurs. Nous essayons également d’être en contact avec les parents en détention par visioconférence.

Comment les enfants gèrent-ils la détention de leurs parents ?

Les visites au parloir, c’est une épreuve. Les parloirs ne sont absolument pas adaptés aux jeunes enfants, il faut y passer la journée, faire des kilomètres pour s’y rendre… (...)

il faut considérer ces enfants comme des victimes de guerre et pas comme des dangers. Ces enfants n’ont pas choisi ce qui leur est arrivé et ont été obligés de subir les conséquences des choix de leurs parents.