
Les enfants martyrisés vivent derrière des portes fermées. De l’autre côté du palier, au fond du couloir, à l’étage du dessous... Souvent invisibles, on les entend parfois. Ils n’ont ni feu ni lieu, excepté le dehors. Leur foyer est éteint, glacé.
« Ces enfants n’ont pas de respiration à l’extérieur, s’inquiète Fabienne Quiriau, directrice générale de la CNAPE, fédération nationale des associations de la protection de l’enfance. Cette promiscuité dans la durée leur fait courir un risque très important. » Un constat que partage également Tal Piterbraut-Merx, chercheuse en philosophie qui étudie les rapports de domination intrafamiliaux. « D’un point de vue juridique, la famille a des droits très élargis sur l’enfant, expose-t-elle. Ce qui permet d’atténuer la domination des parents se sont les différentes sphères dans lesquelles l’enfant peut évoluer. L’école en est une. Plus on multiplie ces sphères de vie, plus on lui offre la possibilité de demander de l’aide à d’autres adultes... Le confinement restreint toute la vie de l’enfant à la sphère familiale. »
Une période qui a des airs de bombe à retardement pour les professionnel·les de la protection de l’enfance. « La violence ne peut aller que crescendo, prévient Didier Comte, directeur général de l’Association départementale de la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence du Puy-de-Dôme. Habituellement, quand on sent que la situation est explosive au sein d’une famille, on décide d’organiser une sortie pour les enfants, une journée de pêche, un pique-nique... En parallèle, on discute avec les parents. » Des moments de décompression incompatibles avec les règles du confinement.
De nouvelles violences à craindre
Dimanche 29 mars, un enfant de 6 ans est mort des coups portés par son père. Sordide annonce qui rappelle à tout le monde que le Covid-19 ne tue pas seulement des malades. Des violences étouffées sont à l’œuvre au sein des familles, à l’encontre de mineur·es ou de jeunes majeur·es. Dans le silence des chambres, des terreurs naissent, se renforcent, grandissent. (...)
Les professionnel·les sont actuellement très préoccupé·es par le déclenchement de nouveaux comportements violents au sein des familles. « Je crains un passage à l’acte car il n’y a plus de soupape de décompression comme peuvent l’être les sorties, les amis, le sport », s’inquiète Marie Danet, psychologue qui participe à une étude sur les conséquences du confinement sur le développement socio-émotionnel des enfants. Une inquiétude partagée par Martine Brousse, présidente de l’association La Voix de l’enfant, œuvrant pour la protection de l’enfance : « Dans certaines familles qui ne présentent aucun risque de violence, des comportements maltraitants peuvent apparaître à cause du confinement. »
« Le confinement fait ressurgir des idées noires » (...)
Car si le confinement peut mener à des violences physiques au sein de la famille, il exacerbe également les violences psychologiques. Tou·tes les mineur·es ou jeunes majeur·es dont nous avons pu récolter les témoignages relatent brimades et autres humiliations quotidiennes, qui les plongent dans un état de grande détresse. (...)
Vigilance de la protection de l’enfance
Depuis le début du confinement, les professionnel·les de la protection de l’enfance redoublent d’efforts afin de contenir la vague de violence. Le 119, numéro d’appel d’urgence de l’enfance en danger, assure sa mission 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, comme en temps normal. « Il y a eu un branle-bas de combat pour nous réorganiser, raconte Nora Darani, responsable de la communication du GIP Enfance en danger, en charge du dispositif. Les appels sont redirigés directement vers le domicile de nos psychologues, travailleurs sociaux et juristes. »
La communication avec le 119 est entièrement gratuite et n’apparaît pas sur les relevés téléphoniques ou la facture détaillée. Selon la chargée de communication, le numéro ne reçoit pas davantage d’appels depuis le début du confinement. Environ 800 par jour. Martine Brousse constate, quant à elle, une augmentation du nombre d’appels concernant des « informations préoccupantes », c’est-à-dire des signalements par des voisins ou des membres de la famille inquiets. (...)
De son côté, le secrétaire d’État en charge de la protection de l’enfance, Adrien Taquet, rappelle que seul·e un·e Français·e sur quatre a le réflexe d’appeler le 119 face une suspicion de violences sur un enfant. « Quand on a un doute, il faut agir au risque de se tromper, ajoute-t-il. Quand on ne se trompe pas, c’est souvent la vie d’un enfant que l’on sauve. » Afin de simplifier les démarches, en évitant notamment aux plus jeunes de devoir téléphoner alors qu’elles et ils sont confiné·es avec leurs parents, le secrétaire d’État a poussé à mettre en place un formulaire en ligne. Le ministère rappelle aussi que les victimes de violences conjugales ou de maltraitance infantile peuvent donner l’alerte dans une pharmacie.
Isabelle Debré, présidente de l’association l’Enfant bleu, appelle également à la vigilance collective. « Nous comptons sur la solidarité de tous, les voisins, la famille, les amis, pour alerter et sauver les enfants en détresse. » L’association a enregistré une recrudescence des appels depuis le 23 mars. Sa présidente rappelle qu’en cas de danger immédiat, il est nécessaire de composer le 17, le numéro de police secours.
Une vigilance de tous les instants indispensable car nombre de mineur·es n’osent pas contacter directement les services sociaux. (...)
Depuis le début du confinement, le nombre de violences conjugales a augmenté de plus 30%, selon Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Il est important de rappeler que, depuis la loi du 14 mars 2016, les enfants exposés à la violence au sein du couple sont également considérés comme des enfants en danger. Ces mineur·es relèvent donc de la protection de l’enfance. (...)
Fabienne Quiriau pointe le manque de moyens attribués au secteur de la protection de l’enfance. « Nous n’avons pas de masques car nous ne sommes pas reconnus comme un domaine d’intervention prioritaire, regrette-t-elle. C’est un véritable frein à l’intervention de professionnels à domicile. Nous avons maintenu les visites à minima dans des situations potentiellement dangereuses pour les enfants car la visioconférence ne remplace pas l’efficacité du passage au domicile. » Afin de pouvoir continuer à intervenir au sein des familles, la directrice générale de la CNAPE exhorte les pouvoirs publics à classer la protection de l’enfance parmi les domaines d’intervention prioritaires durant le confinement. (...)