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Les discriminations racistes : une arme de destruction massive
par Christine Delphy, 15 mai
Article mis en ligne le 17 mai 2012
dernière modification le 15 mai 2012

Certains diront : encore un livre sur les discriminations ! Ce sont les mêmes qui disent : « Assez de repentance ! » - comme s’il y avait eu le début de l’ombre d’une repentance — applaudis par tous ceux pour qui le pire cauchemar serait d’avoir à s’excuser de leurs ignominies ou de celles de leurs pères et frères. Arrogance du dominant, et arrogance française. Ou peut-être retard français : peut-on imaginer les Anglais parler aujourd’hui de la colonisation de l’Inde et la défendre en disant : « mais nous avons fait des routes et des hôpitaux » ?

Eh bien non, ce n’est pas « encore » un livre sur les discriminations mais enfin un livre sur les discriminations. Les discriminations racistes.

Mais enfin, dira-t-on, depuis le temps qu’on parle du racisme ! C’est vrai. Mais de quoi parle-t-on ? Qu’entend-on par racisme ? Depuis le temps qu’on en parle, que des universitaires, des chercheurs du CNRS, dessociologues, des philosophes, écrivent des livres sur le sujet ?
(...)

En fait, les victimes du racisme n’intéressaient personne. Et l’ampleur du préjudice qu’elles subissent n’était pas appréhendée : ces destinataires des actes racistes ne pouvaient être victimes que d’individus isolés, qui les insultaient et parfois les agressaient physiquement. C’était ça le racisme, c’était à la fois révoltant et exceptionnel. (...)

Quand toute une population, à raison de son « origine », ou de son « sexe », souffre d’un taux de chômage extraordinairement élevé, d’un taux de promotion extraordinairement bas, cela n’est imputable à aucun individu, ni même à des individus. C’est ce qu’on appelle le racisme systémique, et c’est cela que Bouamama étudie et dénonce.

Dans le même temps, et avant même de le dénoncer, il doit dénoncer la dénégation et le déni : « Non, il n’y a pas de discrimination en France. Tout le monde est égal ». Ah oui ? « Oui, puisque c’est dans la Constitution, dans nos valeurs, dans notre identité nationale.
Oui, puisque c’est écrit. » (...)

Le dédain pour la réalité, le dédain pour les victimes du racisme, pour leurs vies, pour leurs histoires, pleines d’efforts non récompensés et de souffrance morale, le même dédain est ce que les féministes rencontrent quand elles dénoncent l’injustice faite aux femmes, l’injustice qui est le pain quotidien, la musique de fond, l’odeur âcre qui entoure, qui constitue, qui est la vie des femmes.

C’est pour cela que Saïd Bouamama est mon âme frère. Parce que le racisme comme système, le patriarcat comme système, se ressemblent tant. (...)

Bouamama propose le paradigme de la concurrence—la mise en concurrence de toutes les forces de travail. Ce paradigme suppose que les discriminations se sont aggravées avec la globalisation et le néo-libéralisme économique. Puis, il analyse les réponses apportées par la société française aux discriminations racistes ; ces réponses sont basées sur des études ; mais, curieusement, ces études aboutissent toutes à « la production d’un savoir attendu » qui ne fait que conforter le paradigme culturaliste dominant.

La deuxième partie, l’analyse critique des « réponses », donnera aux féministes un sentiment de « déjà vu » assez inquiétant : rien ne bouge parce que « les mentalités peinent à changer ». Ah, ces mentalités ! (...)

Boumama plaide pour le paradigme de la concurrence, de la fonctionnalité des discriminations racistes et sexistes pour l’ensemble du système, et pour une démarche qui oublie un peu les « mentalités »  : « il ne s’agit plus de changer les joueurs mais les règles du jeu » (...)

Il y explique - avec patience ! - que, y compris quand on prétend reconnaître les discriminations et quand on prétend lutter contre, on s’arrange pour les occulter ; et que tant qu’on n’aura pas reconnu qu’elles sont produites par l’ensemble du système, et que réciproquement ces discriminations, racistes ou sexistes, produisent le système, on ne pourra éliminer ni les discriminations, ni le système d’oppression dit « plus général ».

Il faudra bien qu’on finisse par l’entendre.

Ebuzzing

(...)