La France est endettée, elle serait même selon François Fillon « menacée de faillite ». Pour les représentants de la droite, et notamment pour les finalistes de la primaire, la raison en est claire : le trop d’État. Et les coupables sont tout désignés : les fonctionnaires. Le diagnostic et les remèdes proposés sont simples, facilement compréhensibles, ils s’inscrivent dans le cadre d’un « prêt à penser » relayé depuis des années par les médias dominants. La doxa libérale est dans la tête de leurs électeurs, il convient de servir le discours attendu. 300.000, 500.000 fonctionnaires en moins, qui dit mieux ?
Cette « dette abyssale » agglomère pourtant de nombreux éléments et il faut au bouc-émissaire désigné de très larges épaules pour endosser et supporter un tel fardeau. D’autres causes d’endettement mériteraient d’être pointées du doigt suggérant des pistes d’économie substantielles pour le budget de l’État et des organismes publics. Elles n’ont pas été interrogées par les journalistes chargés d’animer le dernier débat réunissant Alain Juppé et François Fillon, deux médecins de choc avec les mêmes œillères.
S’attaquer à toutes les racines du mal permettrait d’alléger l’infortune du fonctionnaire et du service public et de leur faire entrevoir un avenir plus prometteur.
Ainsi, par exemple :
- La fraude fiscale : c’est un manque à gagner annuel considérable pour le budget de l’État, chiffré selon les experts entre 60 et 100 milliards d’euros.
- La filière nucléaire : présentée par ses partisans comme une source d’énergie sûre, propre et économique, elle est au contraire incontestablement dangereuse, productrice de déchets et se révèle au fil du temps particulièrement onéreuse. La mise aux normes des installations nucléaires existantes et leur entretien représentent au minimum une dépense de 100 milliards d’euros pour les dix prochaines années. Le projet d’Hinkley Point ( plus de 23 milliards d’euros) qui a provoqué la démission de l’ancien directeur financier d’EDF menace de faire sombrer l’entreprise tandis que le coût de l’EPR de Flamanville (environ 11 milliards d’euros estimé à ce jour) ne cesse de grimper. Enfin, la centrale de Olkiluoto en Finlande est un véritable fiasco : le client finlandais réclame 2,6 milliards d’euros d’indemnités à AREVA.
- Le TGV et les LGV : là aussi une solution technologique poussée à l’extrême finit par engloutir l’ensemble du ferroviaire ; les 50 milliards d’endettement de la SNCF proviennent en grande partie de la construction des lignes à grande vitesse et de leur exploitation.
- Les grands projets inutiles : Ils parsèment le territoire national (une centaine environ), détruisent à petits feux notre environnement et nos terrains agricoles. Imposés à la population, ils pèsent lourdement sur les budgets publics. L’aéroport NDDL représente par exemple un coût de 250 millions à la charge de l’État et de la région Pays de la Loire.
Etc.
Mais de tout cela, il n’en est pas question. Le discours d’austérité de nos challengers de droite est sélectif et incroyablement partial.
L’argent du contribuable n’a pas toujours la même odeur, Alain Juppé et François Fillon ne sont rigoureux et austères qu’avec certains deniers publics, ils sont volontiers plus sévères avec les assistés et la fraude aux allocations qu’avec les grands fraudeurs capitalistes et l’évasion fiscale, ils sont tous les deux nucléocrates, ils sont favorables aux grands projets inutiles et notamment à la construction de Notre Dame des Landes. Ils se soucient bien peu d’une autre dette, totalement absente du débat, la dette vis-à-vis de la nature, qui s’accentue chaque année et qui, elle, ne peut être annulée. En fait, ils veulent se concentrer sur l’essentiel, ils veulent faire le job, pousser les feux de l’idéologie libérale au maximum : réduire la voilure du public pour permettre au privé d’agrandir la sienne et de réaliser ainsi des profits dans des secteurs jusque là inexploités. Les finalistes de ce « grand moment de démocratie », présentés comme des hommes d’État, sont en fait des destructeurs d’État.
Pour réduire la dette, François Fillon, le favori de cette lutte fratricide, annonce d’un ton très doux et posé, un peu comme s’il récitait un conte, la destruction de notre Code du travail et de notre système de protection sociale dans les trois mois qui suivraient son élection.
Il veut aller vite, frapper fort, car « si on n’est pas radical maintenant ». . .
Une violence tranquille se cache derrière des sourcils broussailleux ; l’alliance du bonapartisme et du capitalisme financier qui se profile à l’horizon est inquiétante. Selon Alain Juppé, « il faut réarmer l’État » pour combattre l’islamisme. Ne doutons pas que cet État réarmé servira également à réprimer la contestation sociale.
Cette semaine effectivement, pour paraphraser Fillon, il y a comme une vague libérale qui s’est levée et a envahi les médias. Elle nous vient du XIXème siècle mais disposera, si nous ne l’endiguons pas, des moyens de renseignement, de coercition, de répression, du XXI ème siècle.
Il est grand temps pour le peuple de gauche de faire front