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Les contrôles d’identité au faciès
Article mis en ligne le 12 novembre 2015

En juin dernier, pour la première fois un tribunal avait condamné l’État français pour des contrôles de police réalisés « en tenant compte de l’apparence physique et de l’appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race ». En se pourvoyant en Cassation, après avoir refusé toute réforme en la matière, le gouvernement a donné un véritable blanc-seing aux forces de l’ordre : le contrôle au faciès, illégalisme routinier des forces de l’ordre, restera couvert par les autorités. Dix ans après les émeutes de 2005, était donné le signal que la reconnaissance politique demeurait à conquérir par des mobilisation contre toutes les « cérémonies de dégradation » infligées par la police et autres appareils d’État.

Dès le début des années 1950, le MRAP, appuyé par la presse communiste et en particulier L’Humanité, menait campagne contre les « arrestations au faciès » dont étaient victimes les « Nord-Africains ». La « discrimination raciale » et le « racisme légal ou administratif » étaient dénoncés tandis qu’étaient revendiquées avec vigueur « l’égalité des droits » et les « garanties constitutionnelles ». Au même moment, les « Français musulmans d’Algérie [1] » les plus politisés défilaient dans les rues de Paris avec des banderoles « À bas le racisme policier » ou « Plus de chasses au faciès » [2]. Quelques années plus tard paraissait la première brochure destinée à armer en droit les soutiens des « travailleurs algériens » victimes de contrôles d’identité répétés ainsi que de conduites au poste souvent longues de plusieurs heures et loin d’être toujours exemptes de violences [3]. (...)

Quand elles ne font pas appel des rarissimes décisions de justice condamnant les contrôles au faciès, les plus hautes autorités s’attellent à minorer l’ampleur du phénomène. En la matière, la continuité de l’État est exemplaire. La position du gouvernement français exprimée en 2010 dans une réponse à l’ECRI [5] qui, depuis plusieurs années, mettait en cause l’action de la police nationale en matière de « profilage racial » est particulièrement symptomatique de ce déni :

« Les critères retenus par les policiers pour exercer leurs contrôles reposent sur une analyse raisonnée de la délinquance en fonction du lieu où les contrôles sont menés et du comportement le plus souvent observé chez les auteurs des types d’actes de délinquance de proximité les plus constatés localement. Contrairement à ce qui a été indiqué à l’ECRI, il y a lieu de souligner que l’apparence ethnique en tant que telle n’a aucun intérêt dans la lutte contre la délinquance et qu’elle n’intervient pas en conséquence dans la décision de contrôler telle ou telle personne [6] ».

Si les personnes désignées par la couleur de leur peau subissent des contrôles d’identité qui, en certains lieux, peuvent s’apparenter à un véritable harcèlement policier, ce serait tout simplement parce que leurs « comportements » et une « analyse raisonnée » les ciblent comme potentiellement délinquantes. (...)

depuis 2012, en dépit des promesses du candidat Hollande (son engagement n° 30/60 portait : « Je lutterai contre le “délit de faciès” dans les contrôles d’identité par une procédure respectueuse des citoyens [et les autres habitant·e·s de ce pays serait-on tenté d’ajouter ?] »), les prises de positions et la pratique n’ont guère évolué. (...)

selon le sondage Opinon Way/Open Society précité, 90% des personnes interrogées en mars 2014 n’avaient pas été contrôlées au cours des 12 mois précédents. Parmi les 10% de personnes ayant eu affaire à ce type d’exigences policières, les hommes français sans ascendance étrangère avaient en moyenne été contrôlés trois fois dans l’année, quasiment exclusivement au volant de leur voiture. Pour les hommes contrôlés ayant des « ascendants originaires d’Afrique du Nord », la moyenne des vérifications d’identité montait à une dizaine, très souvent comme piétons [10]. Que ces résultats soient le fruit d’une observation sociologique, d’enquêtes par questionnaires ou d’une auto-déclaration dans le cadre d’un sondage, ils apparaissent massifs, confirmés par les enquêtes successives et recoupés par les rares données internationales disponibles sur le sujet. (...)

Dans le cas français, que les « jeunes de banlieue » soient dans la ligne de mire des forces de police n’est pas une surprise, en particulier pour les premiers intéressés : quand ils prennent la parole ou qu’elle leur est donnée [12], ils décrivent avec force détails et amertume la manière dont ils sont contrôlés, fouillés, palpés au pied de leur immeuble par des agents qui, le plus souvent, n’ignorent rien de leur identité. Le contrôle d’identité est ainsi une figure imposée, une épreuve récurrente que doivent surmonter au quotidien des centaines de milliers d’habitants de ce pays pour qui les agents de police apparaissent comme une force intrusive et humiliante, sinon violente.

À quoi servent les contrôles d’identité ?

La France est indéniablement un des pays européens où la souveraineté policière en matière de contrôle d’identité est la plus grande. Les pratiques sont très peu encadrées par le droit (...)

Les comparaisons disponibles montrent que le taux de détection des infractions n’est pas augmenté par une plus grande fréquence des contrôles d’identité.

Le seul résultat tangible mis en évidence par les enquêtes internationales est la corrélation inverse observée entre la fréquence des contrôles, en particulier ceux pratiqués selon le profil racial, et la confiance de la population envers l’institution policière (...)

Il n’en reste pas moins que ni la hiérarchie, ni la base policière ne semblent prêtes à se priver d’un outil qui leur paraît bien souvent un moyen irremplaçable de faire peser leur emprise sur des populations considérées comme suspectes.
(...)

Les contrôles d’identité ont ainsi une fonction, bien plus politique que strictement policière. Exiger de quelqu’un qu’il s’exécute suite à une injonction discrétionnaire et imposer qu’il justifie de son identité est une manière de nier l’évidence et la légitimité de sa présence et de sa condition. En empruntant au vocabulaire du sociologue Harold Garfinkel, nous sommes bien ici en présence de « cérémonies de dégradation [17] ».

Par le dispositif policier du contrôle, il s’agit de dévaloriser l’identité sociale et politique de personnes que les discriminations et les stigmatisations empêchent de pleinement faire valoir leurs droits. Ce que les jeunes contrôlés qualifient d’humiliation, de manque de respect et de défaut de reconnaissance s’ancre dans la longue histoire des relations entre la police française et certains « citoyens diminués ». Pendant la guerre d’indépendance algérienne, des policiers parisiens déchiraient régulièrement les papiers présentés par les « Français musulmans » qu’ils contrôlaient. Au-delà des conséquences pratiques générées par ces gestes (impossibilité de circuler, conduites au poste, voire internements administratifs…), il s’agissait avant tout de nier leur appartenance à une communauté française considérée comme simplement « de papiers », quand bien même elle était défendue militairement au sud de la Méditerranée.

Aujourd’hui, si les papiers exhibés sont plus rarement déchirés ou jetés [18], devoir les montrer, les voir scrutés, se faire palper, sont autant d’opérations qui obéissent à une logique similaire de doutes portés sur les identités attestées par les papiers, et en particulier la carte nationale d’identité.

Si le contexte politique et administratif a largement évolué depuis une soixantaine d’années, citoyenneté et nationalité restent toujours tout autant affaire de symbolique, de reconnaissance sociale et de cérémoniel politique que de délimitations juridiques. Les échelles de la citoyenneté sont ainsi constituées de multiples barreaux dont une partie seulement sont fondés en droit. (...)