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Les cinq raisons de la grève massive du 12 février 2013
Article mis en ligne le 12 février 2013

Il est certain que le nombre ne fait pas preuve : il n’empêche que la grève des instituteurs du 12 février rappelle les journées hivernales de 1995 ou celles printanières de 1968. Certes, on peut toujours expliquer les choses par le bas, et ne voir dans cette énième grève de la gent enseignante qu’un nouvel accès de prurit corporatiste, qu’une demande éhontée d’augmentation de salaire de la part de privilégiés, qu’un aveu supplémentaire de la fainéantise inhérente au métier de professeur.

Il est également possible d’expliquer ce mécontentement par le haut ; ce que nous allons tenter de faire.

La première cause de cette journée de grève est logique, elle repose sur un souci porté aux mots. Ce n’est pas la journée d’école qui est trop longue, c’est la journée à l’école. Le ministère de l’Education nationale prétend que la réforme des rythmes scolaires a pour but avéré d’installer une journée d’enseignement allégée ; or cet allègement n’est que d’une demi-heure (voire trois-quarts d’heure) par jour et ne contrebalance nullement la longueur de la journée de l’enfant passée à l’école. Car il convient d’être honnête : ce ne sont pas les six heures actuelles de classe qui fatiguent l’élève, c’est bien plutôt, si ses parents ne peuvent s’organiser autrement, le fait que l’enfant soit confié à la garderie dès 7 heures et demie, voire avant, ou que l’on ne vienne le chercher à l’école qu’à dix-neuf heures passées. (...)

En conséquence, ce ne sont pas tant les rythmes scolaires qui sont à réformer pour un gouvernement qui se dit socialiste, c’est-à-dire pour un gouvernement qui devrait avoir souci des plus faibles et des plus démunis ; ce qu’un gouvernement vraiment socialiste devrait remettre en cause, c’est le travail le week-end, le travail de nuit, le travail fracturé, précaire et sous-payé, le chômage endémique, toutes ces injustices qui nuisent massivement à la vie de nos élèves ; ce à quoi devrait s’attaquer un gouvernement vraiment socialiste, c’est le coût de plus en plus honteux du logement qui empêche les familles d’habiter près de leur lieu de travail, imposant par là des temps de trajet qui s’ajoutent au temps de travail et aboutissent à ce que des enfants voient de moins en moins leurs parents mais de plus en plus les animateurs municipaux.

La deuxième cause de la journée de grève du 12 février est à la fois statutaire et républicaine : avec le décret relatif à l’organisation du temps scolaire en primaire, c’est l’inégalité de traitement des élèves qui devient la règle. (...)

la troisième cause expliquant la grève du 12 est une cause scolaire. Le décret socialiste allégeant la journée d’enseignement n’est qu’un avatar de la politique scolaire menée par le gouvernement néo-libéral précédent. La suppression du samedi travaillé en 2008 a eu pour conséquence la réduction du temps d’école : on est passé de 26 heures d’enseignement hebdomadaires à 24 heures (les 2 heures d’aide personnalisée n’ayant servi qu’à justifier la disparition des RASED). Le nouveau décret entérine donc cet appauvrissement scolaire au lieu d’y remédier. Il est tout de même étonnant de déplorer que nombreux sont les élèves « à n’avoir pas le niveau » et en même temps de continuer de réduire le temps de classe. Il aurait été bien plus juste de revenir à un temps de classe important et d’instaurer un système d’études et de soutien vraiment efficace. (...)

En outre, le remplacement des 60 heures d’aide personnalisée par 36 heures seulement d’APC permet au ministère de dégager 24 heures supplémentaires de temps de travail en équipe pour les instituteurs, lequel temps de travail en équipe passe ainsi, selon la circulaire sur les 108 heures annualisées, de 48 heures à 72 heures. Même si le syndicat majoritaire dans le primaire se félicite d’un tel allongement, d’aucuns se demandent s’il ne vaudrait pas mieux être devant ses élèves que d’être en réunion aux côtés de ses collègues. Derrière cette prépondérance accrue accordée par le ministère au travail en équipe c’est le caractère indépendant du métier d’instituteur qui se voit mis à mal. D’autant plus que ce travail en équipe a quelque relent idéologique et semble fort éloigné du véritable travail d’équipe qui est celui d’instituteurs volontaires (et qui le mènent hors temps administratif, qui plus est). En effet, quand des collègues travaillent ensemble parce que c’est ce qu’ils souhaitent et que c’est leur façon personnelle de travailler, ils le font parce qu’ils ont une idée propre à développer ensemble pour leurs élèves. (...)

Au final, les instituteurs vont gagner en travail administratif souvent vain et perdre des heures pour lesquelles ils sont vraiment faits : enseigner (comme si l’on demandait à un chirurgien d’opérer moins et de se fatiguer davantage en réunion avec ses pairs).

La quatrième cause de la journée de grève massive du mardi 12 février est une cause culturelle. Avec une demi-journée de classe supplémentaire, le temps de service officiel des maîtres n’augmentera pas, à la différence du temps de présence à l’école. Par exemple, rien n’empêchera qu’un instituteur travaille le mercredi toute la journée : non seulement devant ses élèves le matin (ce qui est dans l’ordre des choses, après tout), mais aussi l’après-midi dans le cadre du travail en équipe, vu la flexibilité et l’annualisation de nos heures que l’on pourrait qualifier d’administratives.

Or, de même que la coupure du mercredi permet aux élèves de vaquer, de même celle-ci permet aux collègues, tout en les libérant de la pression de la tenue de classe, de préparer leurs cours, de corriger leurs copies, mais aussi tout simplement de se reposer. Il ne faut pas s’abuser ; on peut certes devenir instituteur pour la sûreté de l’emploi et l’importance des vacances, on peut aussi le devenir par souci de la république et des élèves, mais également pour son propre bien : le métier d’enseignant, par les heures de loisir qui jusqu’à présent lui étaient inhérentes, permet de se consacrer à sa vie de famille et à une vie intellectuelle (osons le terme). Non seulement la fatigue des maîtres ne profite jamais aux élèves, mais leur inculture non plus (...)

La cinquième et dernière cause de la journée du 12 février est morale. Se focaliser sur les rythmes scolaires revient à biologiser l’élève pour ainsi dire, à réduire l’acte d’apprendre, qui est un acte de volonté, à quelque chose de corporel. Qu’il soit indéniable que la somnolence postprandiale touche nos élèves comme nous-mêmes ne signifie pas qu’il leur soit impossible (de même qu’à nous) d’aller contre cette paresse digestive. Apprendre se décrète et ne relève pas de quelconques rythmes biologiques. Dès la maternelle l’institution s’évertue à ne pas trop fatiguer l’attention des élèves au prétexte, spécieux, qu’ils ne pourraient pas ainsi fixer leur attention longtemps sur une même tâche ; or c’est précisément en n’entraînant pas dès son plus jeune âge l’élève à se concentrer longuement qu’on lui interdit de fait cette contention d’esprit pour plus tard.

De même prétendre réduire le temps de présence en classe des élèves sans toucher aux programmes relève de la malhonnêteté intellectuelle. (...)

Nous ne pourrons décemment pas former de futurs citoyens vigilants si les programmes sont tels qu’ils empêchent cette visée émancipatrice de notre métier mais s’efforcent bien plutôt de fournir au patronat une future main-d’œuvre bon marché, corvéable à merci et n’ayant pas souci de soi.

Plutôt que de refonder réellement l’école de la République, c’est-à-dire mettre tout à bas et recommencer à partir des fondements (tâche, il est vrai, impossible et dangereuse dans les choses humaines, comme nous l’a appris Descartes), le ministre a trouvé primordial de s’occuper avant tout des rythmes scolaires : mal lui en a peut-être pris…