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« Les atteintes aux libertés ont tendance à s’installer »
Article mis en ligne le 18 novembre 2021

(...) La limite est repoussée à chaque fois. À tel point que l’état d’urgence finit par nous sembler banal. C’est en tout cas le constat que fait Vincent Brengarth, qui estime que, pendant la crise sanitaire, le droit commun a été contaminé par ce régime d’exception prorogé de façon continue depuis mars 2020. L’avocat au barreau de Paris plaide notamment dans des dossiers mettant en jeu droit pénal et libertés fondamentales. Il vient de publier Revendiquons le droit à la désobéissance (1) avec Jérôme Hourdeaux, journaliste à Mediapart.

Que pensez-vous du vote adoptant le projet de loi « portant diverses dispositions de vigilance sanitaire », qui repousse la fin de l’état d’urgence sanitaire au 31 juillet 2022 ?

Vincent Brengarth : Avec tout ce que l’on peut observer ces dernières années, rien ne le rend très surprenant. Les pouvoirs publics tombent dans le même travers qu’en 2015, lorsque l’état d’urgence antiterroriste avait été prononcé après les attentats du 13 novembre : ce régime d’exception a connu six prorogations en deux ans. Aujourd’hui, la volonté des pouvoirs publics est d’installer ces législations d’exception dans le temps. Ainsi, elles tendent à s’imprimer dans notre droit commun. En bref, une fois qu’on met le doigt dans l’engrenage de l’état d’exception, il est difficile d’en sortir.

Nous dirigeons-nous vers une banalisation du régime d’état d’urgence ?

La banalisation est déjà là. Ce régime est presque vu comme la norme. Il y a quelques années, lorsque nous parlions des prolongations de l’état d’urgence antiterroriste, nous avions une idée de ce qu’était le droit commun. Depuis, l’habitude s’est installée et il n’y a plus de levée de boucliers devant la pérennisation de ces prérogatives exceptionnelles. Par exemple, si l’on prend le cas de la loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » (Silt) du 30 octobre 2017, censée mettre fin à l’état d’urgence antiterrorisme, elle met bien un terme à ce régime d’exception dans les faits. Cependant, elle en transpose les plus importantes dispositions dans le droit commun : perquisitions administratives, assignations à résidence transformées en « mesures individuelles de contrôle administratif »… (...)

Comment peut-on expliquer cette acceptation de l’installation pérenne de ces régimes d’exception ?

D’abord, une partie de l’opinion publique adopte un état d’esprit fondé sur la crainte, celle-ci étant justifiée par le péril sanitaire. Les outils dérogatoires sont ainsi plus facilement admis. Une sorte de certitude quant à la légitimité des pouvoirs publics à être les seuls à même d’apporter des solutions se construit collectivement. Une certitude si forte qu’on ne la questionne plus. En outre, ces mesures sont plutôt bien digérées par l’opinion, car il y a eu un précédent très prégnant avec l’état d’urgence post-attentats installé de façon continue entre 2015 et 2017. Les dernières années que le pays a traversées ont créé un terrain juridictionnel assez favorable à l’accoutumance à ces législations d’exception. Les limites de ces régimes sont successivement repoussées. Alors, aujourd’hui, il est normal que l’on ne distingue plus très bien leur caractère « exceptionnel ». La frontière entre droit commun et régime d’exception devient de plus en plus difficile à discerner. (...)