
Il y a d’abord eu, en juin, des orages de grêle dévastateurs, d’une ampleur sans précédent. Puis la sécheresse, longue et intense, qui a entraîné des restrictions d’eau dans la majorité du pays — 86 départements étaient concernés mi-septembre. Enfin, des pluies torrentielles se sont abattues sur le sud du pays fin octobre. Résultat, une nouvelle année noire pour nombre d’agriculteurs.
Dans la Drôme, des vergers entiers d’abricots ou de pêches ont été décimés par les grêlons tombés ce printemps. La reconnaissance de calamité agricole a été officialisée le 30 octobre dernier, ouvrant la voie à une indemnisation. Pour les agriculteurs frappés par la sécheresse, il faudra encore attendre. Dans de nombreuses régions, comme en Limousin, « la situation est catastrophique, toutes les cultures ont été touchées », (...)
Surtout, 2019 vient s’ajouter à la désormais longue liste des années catastrophiques, car « ce qui hier était l’exception devient aujourd’hui la règle, se désole Pierre Veyrat, arboriculteur et viticulteur dans la Drôme. Les sinistres se répètent et s’aggravent, et viennent porter le coup de massue climatique à des fermes par ailleurs en difficulté économique ». Le quotidien n’est déjà pas rose, mais l’avenir s’annonce carrément sombre. (...)
Pire, insiste la Confédération paysanne, si rien n’est fait pour mieux prévenir et indemniser les dégâts, il en va de « la pérennité des exploitations, et donc d’une activité agricole en France ».
« L’État a souhaité transférer une partie des risques vers les assurances »
Aujourd’hui, les agriculteurs confrontés à un aléa climatique peuvent être dédommagés grâce au Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), abondé par les agriculteurs eux-mêmes. À condition que l’événement en question ait été reconnu « d’importance exceptionnelle » par Météo France, ce qui n’a par exemple pas forcément été le cas pour l’épisode sec de 2018, pourtant très sévère. (...)
Dernière condition, et non des moindres, afin de toucher une compensation, les dommages doivent dépasser 13 % du produit brut de l’exploitation. Ainsi, un éleveur qui transforme son lait en fromage et l’écoule en circuit court ne sera pas indemnisé s’il perd toute sa récolte de foin, pourtant essentielle, car son chiffre d’affaires provient surtout de la transformation et de la vente directe. (...)
Conséquence, de nombreuses fermes touchées par des sécheresses ne sont pas ou peu indemnisées. (...)
Surtout, depuis une dizaine d’années, le développement des assurances privées vient complexifier un peu plus ce système étatique, dit « régime des calamités agricoles ». Auparavant, « il n’existait des contrats d’assurance que sur la grêle, qui est une catastrophe particulière, sans dimension systémique comme les vagues de sécheresse, explique William Loveluck, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Pour qu’une assurance soit rentable, il faut que le risque soit diffus, c’est-à-dire qu’il ne faut pas que le sinistre survienne en même temps sur l’ensemble d’un territoire ». Les autres risques étaient donc pris en charge par les pouvoirs publics et la profession agricole, via le FNGRA. (...)
« Un assureur privé, son but, c’est de faire de l’argent, pas de soutenir l’intérêt général » (...)
Malgré tout, le ministre de l’Agriculture promeut une extension du système assurantiel. (...)
Mauvaise idée, regrette Thomas Gibert, également porte-parole de la Confédération paysanne de Haute-Vienne : face à la multiplication des aléas climatiques, « l’État préfère se désengager et privatiser le soutien aux agriculteurs, dénonce-t-il. Un assureur privé, son but, c’est de faire de l’argent, pas de soutenir l’intérêt général ». Il s’inquiète particulièrement de l’équité d’un tel système. « Un tiers des paysans gagnent moins de 350 € par mois, ils ne pourront pas payer une assurance en plus, et resteront sur le carreau », affirme-t-il.
Autre effet pervers, « les assurances orientent le modèle productif, en fonction des cultures qu’elles couvrent », analyse William Loveluck. Il a étudié les conséquences du système assurantiel généralisé aux États-Unis : là-bas, « les agriculteurs ont eu tendance à se tourner vers les cultures les mieux assurées, détaille-t-il. Or, il s’agissait plutôt des monocultures qui augmentaient l’intensification, la spécialisation, donc moins respectueuses de l’environnement ». Dans les faits, il est plus facile, plus profitable — donc moins cher pour l’agriculteur — d’assurer de grandes surfaces de céréales qu’une petite ferme diversifiée. Une crainte partagée par la Confédération paysanne, qui a fait connaître ses réticences dans une contribution adressée au ministère de l’Agriculture. (...)
Sans surprise, le directeur adjoint de la Fédération française des assurances voit les choses différemment (...)
Une position partagée par la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles).
À l’inverse, la Confédération paysanne défend la mise en place d’un « fonds mutuel et solidaire » financé par l’ensemble du monde agricole, mais également par l’État, l’Europe et « une nouvelle taxe sur la spéculation sur les matières premières agricoles », et géré par les paysans sous la houlette de l’État, qui permettrait « d’indemniser toutes les cultures et tous les risques ». (...)
afin d’équilibrer son budget général et éponger sa dette, l’État a pris la fâcheuse habitude de se servir dans le Fonds national de gestion des risques en agriculture. En 2015, le FNGRA avait ainsi perdu 255 millions d’euros. « Or cette trésorerie, constituée grâce aux efforts financiers réalisés par les agriculteurs, doit permettre de faire face à des crises majeures, telle une sécheresse », souligne Mme Bonnefoy, qui plaide également pour une révision des critères et des seuils d’indemnisation.
Pour la parlementaire, il s’agit également de « travailler à une agriculture plus résiliente » face au changement climatique (...)
Un avis partagé par Thomas Gibert, qui soutient « un accompagnement au changement des pratiques agricoles », vers la diversification et la relocalisation des productions. En bref, tout l’inverse de ce que promeut, pour le moment, le système assurantiel.