
Le soir venu, la gare Saint Charles, à Marseille, devient le refuge des âmes errantes et des corps qui cherchent le sommeil. Et parfois les corps sont jeunes… « La gare n’est pas impénétrable », nous confie une travailleuse sociale. Il y a les zones de repos, les coins apéro, les gens qui se posent en sous-sol... Une centaine de mineurs dormiraient à la gare. « Je m’attendais à trouver des jeunes de 18 à 25 ans, mais l’âge c’est plutôt 13-25. Ce sont souvent les SDF les plus anciens qui nous les signalent », poursuit-elle. La gare est un lieu hautement sensible. Les jeunes sont très vulnérables et les prédateurs sexuels jamais très loin. « La prostitution prend souvent une manière déguisée. On propose un hébergement mais c’est toujours avec une contrepartie », explique la travailleuse sociale.
La gare abrite les jeunes fugueurs et, depuis ces dernières années, un grand nombre de mineurs isolés étrangers (MIE), un phénomène que personne n’avait prévu mais qui aggrave la situation. « Au 31 juillet, on comptabilisait 218 mineurs isolés à la rue », explique le collectif MIE qui regroupe différentes associations d’aide aux migrants (la Cimade, RESF, El Mamba…) à Marseille. Fin septembre, ils ont interpellé une fois de plus le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône pour le mettre face à ses responsabilités : mettre les mineurs à l’abri. « On ne protège pas ces jeunes, ils sont livrés à eux-mêmes et on sait qu’il y en a un, de 13 ans, qui dort à la rue », poursuit le collectif. « Quand on les voit arriver avec de nouveaux vêtements alors qu’ils sont démunis... On sait que ça existe. Mais ce sont de jeunes garçons que l’on a en charge et le sujet est tabou », explique un éducateur travaillant en foyer avec des MIE. Et ce n’est un mystère pour personne, la prostitution existe aux abords des foyers pour l’enfance.
« Les petits esclaves invisibles », c’est le rapport publié en italien par l’ONG Save the Children en juillet dernier. Il évoque le sort des jeunes migrants amenés à se prostituer sur le sol italien. Ce qu’il nomme « le sexe de survie », permettant d’amasser assez d’argent pour poursuivre le voyage en Europe et passer la frontière vers la France, ou simplement pour pouvoir subvenir à ses besoins. L’ONG est entrée en contact avec 1900 jeunes filles, dont 160 enfants, sur le sol italien, victimes d’exploitation sexuelle entre janvier 2017 et mars 2018. Certaines jeunes filles arrivent mineures en Italie mais se font passer pour majeures sous la pression des passeurs et sortent des radars de la protection de l’enfance pour se retrouver prises dans des réseaux.
« Sur les terrains frontaliers, il est très difficile pour les associations d’agir auprès des personnes car il y a ce côté invisible, passage rapide, coûte que coûte », explique Agnès Lerolle, chargée de coordination de la Caffim (regroupement de plusieurs associations à la frontière franco-italienne). (...)
Si, en Paca, la prostitution des jeunes migrants alerte enfin les pouvoirs publics, une autre forme de prostitution, celle de jeunes filles françaises est tout aussi inquiétante. (...)
l’association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE), qui se porte partie civile dans de nombreuses affaires de proxénétisme. Selon elle, près de 8000 mineurs se prostitueraient en France. La bascule peut se faire dès l’entrée en sixième. « Déscolarisées, le plus souvent, ou en fugue, elles ne sont pas tant attirées par l’appât du gain que par le besoin de se sentir incluses dans un cercle social, de se donner une identité, poursuit Arthur Melon. Elles sont issues de tous les milieux sociaux. Bien souvent, c’est plutôt la classe moyenne, des familles qui ont un salaire décent pour vivre, une jeune fille qui a une chambre à elle. »
Si les journalistes insistent énormément sur la prostitution de cité, notamment à Marseille, pour les associations de prévention il n’est pas simple d’atteindre ces jeunes filles et leurs parents. « C’est très compliqué car il y a un tabou énorme pesant sur ce sujet, d’autant plus dans des milieux où il n’est pas aisé de parler de sexualité. C’est l’omerta. » Et Arthur Melon de conclure : « Faire de la prévention en milieu scolaire est très difficile. Nous avions édité un outil pédagogique dont les chefs d’établissement n’ont pas voulu, de peur de stigmatiser leurs élèves, prétendant qu’il n’y a pas de problème de prostitution dans leur établissement… »