
Prisonnier d’une impasse qu’il a lui-même créée, Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, est devenu une victime au fil des ans.
La colère initiale de certains face à la témérité de la divulgation par Assange de câbles diplomatiques confidentiels a été contrée par un débat sur l’intérêt public l’emportant sur les dommages potentiels causés aux individus, mais ces nuances se sont estompées et, alors qu’il lutte contre son extradition vers les États-Unis, le soutien à la fin de son incarcération kafkaïenne se fait de plus en plus pressant.
Le sondage réalisé aujourd’hui par les lecteurs du Herald reflète ce changement d’avis : 79 % des personnes interrogées estiment que l’administration Biden devrait cesser de poursuivre M. Assange. Seuls 13 % n’étaient pas d’accord. Huit pour cent n’étaient pas sûrs.
La politique semble également évoluer en sa faveur.
Le Premier ministre Anthony Albanese a admis sa frustration face à son incapacité à trouver une solution diplomatique et s’inquiète de la santé mentale d’Assange. "Je ne peux rien faire d’autre que d’exposer très clairement ma position, et l’administration américaine est certainement très consciente de la position du gouvernement australien. L’incarcération de M. Assange ne sert à rien", a-t-il déclaré. Le chef de l’opposition, Peter Dutton, qui a longtemps critiqué M. Assange, a soutenu M. Albanese en déclarant que la situation n’avait que trop duré. "Je pense que ces questions doivent être traitées et si le Premier ministre trace la voie à suivre pour parvenir à un résultat, c’est une bonne chose", a déclaré M. Dutton.
Une délégation multipartite de politiciens australiens a rencontré l’ambassadrice des États-Unis, Caroline Kennedy, afin d’accroître la pression sur l’administration Biden pour qu’elle abandonne ses poursuites. Cette rencontre a eu lieu quinze jours avant que M. Albanese n’accueille la première visite présidentielle de Joe Biden en Australie.
Le mois prochain, M. Assange aura passé 11 ans en prison ou retranché dans l’ambassade d’Équateur à Londres. Il a lutté contre l’extradition vers la Suède pour des accusations d’agression sexuelle - qui ont été abandonnées en 2019 - puis contre l’extradition vers les États-Unis pour la publication de câbles militaires et diplomatiques. L’asile lui a été retiré en 2019 et il a été incarcéré pour violation de la liberté sous caution dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, à Londres, où il croupit toujours. Les États-Unis l’ont ensuite inculpé de 17 chefs d’accusation pour violation de la loi sur l’espionnage de 1917 et d’un autre chef d’accusation lié au piratage informatique, et cherchent toujours à obtenir son extradition.
L’attitude à l’égard d’Assange a considérablement changé depuis qu’il est devenu une figure internationale. Notre éditorial du 2 août 2010 n’était pas impressionné : "L’aspect le plus douteux de l’opération WikiLeaks, où les sympathies sont le plus susceptibles de se retourner contre le tribun autoproclamé du droit de savoir et son fondateur, Julian Assange, est l’incapacité à bloquer les noms et les villages de dizaines d’Afghans qui ont donné des informations aux forces américaines ou qui étaient autrement amicaux. Il s’agit là d’un véritable arrêt de mort". En 2021, notre ton s’était adouci : "Même ceux qui pensent qu’Assange mérite d’être puni pour ses actions doivent admettre qu’il a déjà payé un prix très élevé. La lutte a manifestement mis à mal sa santé mentale et physique".
M. Assange a passé plus de temps enfermé, volontairement et involontairement, que Chelsea Manning, le soldat américain qui a divulgué des documents classifiés à WikiLeaks et qui a ensuite purgé une peine de sept ans. M. Assange a eu deux enfants pendant son séjour à l’ambassade et s’est marié. Fin 2021, sa femme a déclaré qu’il avait été victime d’un mini-AVC.
Les différents gouvernements australiens se tordent les mains depuis le début de la saga Assange. Les efforts déployés en coulisses par les gouvernements travailliste et de coalition n’ont rien donné. Le moment est venu de mettre un terme à cette triste saga. Dans notre nouvel esprit d’amitié, la visite du président américain est certainement l’occasion pour les gouvernements de faire preuve d’une humanité commune et de la partager.