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Mouvement pour une Alternative Non-Violente (MAN)
Le secret de la résistance non-violente
Erica Chenoweth
Article mis en ligne le 24 août 2016
dernière modification le 19 août 2016

(...) J’ ai collecté des données sur toutes les campagnes majeures depuis 1900, violentes et non-violentes, visant le renversement d’un gouvernement ou la libération d’un territoire. Les données couvraient le monde entier et concernaient tous les cas connus où avaient été observés au moins 1000 participants. C’est-à-dire des centaines de cas. J’ai ensuite analysé ces données et le résultat m’a épatée. Entre 1900 et 2006, les campagnes non-violentes, dans le monde entier, avaient deux fois plus de chance de réussir entièrement que les insurrections armées. Et il y a plus : cette tendance s’est accrue avec le temps et dans les dernières 50 années, les campagnes non-violentes ont de plus en plus réussi et sont devenues de plus en plus courantes, tandis que les insurrections violentes sont devenues de plus en plus rares et infructueuses. Ceci est vrai y compris dans des conditions d’autoritarisme extrêmement brutal, dans lesquelles je m’attendais à ce que les résistances non-violentes échouent.

Alors pourquoi la résistance civile est-elle tellement plus efficace que la lutte armée ? La réponse semble se trouver dans le pouvoir des peuples.

Les chercheurs disaient autrefois qu’aucun gouvernement ne peut survivre si seulement 5 % de sa population se dresse contre lui. Nos données montrent que ce nombre pourraient même être inférieur à cela. Aucune de ces campagnes n’a échoué durant cette période [1900-2006, NDLR] après avoir réussi à obtenir une participation active et durable de seulement 3,5 % de la population. Et un grand nombre d’entre elles ont réussi avec encore moins que cela. 3,5 % n’est pas un chiffre à dédaigner. Aux États-Unis aujourd’hui, cela représente quelque chose comme 11 millions de personnes. Et devinez quoi : chaque campagne qui a réuni plus que ces 3,5 % était non-violente. En fait, les campagnes non-violentes étaient en moyenne quatre fois plus importantes que les luttes armées. Et elles étaient souvent bien plus ouvertes et représentatives en termes de genre, âge, race, parti politique et classe.

La résistance civile permet à toute personne de participer quelles que soient ses capacités physiques, ce qui peut inclure les personnes âgées, handicapées, les femmes, les enfants, et quiconque le souhaite. Quand on y pense, chaque personne naît avec la capacité physique naturelle de résister. Tous ceux ici qui ont des enfants connaissent la difficulté de transporter un enfant qui ne veut pas bouger ou de nourrir un enfant qui ne veut pas manger.

De l’autre côté, la résistance violente est plus exigeante physiquement, ce qui la rend un peu plus exclusive. (...)

Des répressions se produisent parfois. Mais même dans ces cas-là, les campagnes non-violentes sont restées plus performantes que les luttes armées, dans deux cas contre un.

Il se trouve que lorsque les forces de sécurité arrêtent, tabassent, et même tirent sur des activistes non armés, il y a une sécurité dans la multitude. Des campagnes vastes et bien coordonnées peuvent varier les tactiques, entre la concentration comme dans une manifestation, et la dispersion dans laquelle les personnes se tiennent à l’écart des endroits où elles étaient attendues. Elles se mettent en grève, elles frappent sur des poêles et des casseroles, elles restent chez elles, elles coupent leur électricité à un moment coordonné de la journée. Ces tactiques sont bien moins risquées et très difficiles à contrer ou supprimer, tandis que le mouvement reste toujours aussi perturbateur.

Que se passe-t-il dans ces pays une fois que le conflit se résout ? Il apparaît que la façon dont on résiste est également importante dans le long-terme. De façon très visible, les pays où les gens ont choisi la lutte non-violente ont bien plus de chance de voir émerger des institutions démocratiques que les pays où la violence a été préférée. Et ces pays avec des campagnes non-violentes ont 15 % de chance de moins de retomber dans la guerre civile. Les données sont claires : quand les gens s’appuient sur la résistance non-violente, leur nombre grandit. Et quand un grand nombre de personnes cesse sa coopération avec un système oppressif, les probabilités sont toujours de leur côté.

Donc moi et beaucoup d’autres comme moi, avons ignoré les millions de personnes à travers le monde qui ont utilisé avec adresse la résistance civile, pour n’étudier que les choses qui explosent.

Je me suis trouvée à la fin avec plusieurs questions sur la façon dont je réfléchissais jusque-là. Pourquoi était-il si facile et confortable pour moi de penser que la violence fonctionne, et pourquoi ai-je trouvé cela si acceptable de supposer que la violence se produit presque automatiquement à cause des circonstances ou par nécessité et qu’il s’agit du seul moyen de sortir de certaines situations ?

Dans une société où l’on célèbre les héros des champs de bataille lors des fêtes nationales, j’imagine qu’il est naturel de grandir en croyant que la violence et le courage sont une seule et même chose et qu’une véritable victoire ne peut arriver sans verser du sang des deux côtés. Mais les indications que je vous ai présentées aujourd’hui suggèrent que pour les personnes sérieusement engagées dans la recherche d’un changement, il existe des alternatives réalistes.

Imaginez à quoi notre monde ressemblerait aujourd’hui si nous nous autorisions à développer une confiance en ces alternatives. (...)

Maintenant que nous savons ce que savons sur le pouvoir des conflits non-violents, je vois cela comme notre responsabilité commune de répandre cette connaissance, afin que les générations futures ne se fassent pas avoir par le mythe que la violence est leur seule façon de s’en sortir.