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Le racisme étouffe l’Amérique
Article mis en ligne le 3 juin 2020

Depuis le meurtre de George Floyd, les États-Unis ont pris feu. Récit, jour après jour, d’un incendie qui ne s’éteindra pas jusqu’à ce que le pays apprenne à se regarder en face.

Ce que ces mots font remonter à la surface, c’est un préjugé vieux comme le Nouveau Monde, solidement enraciné dans l’imaginaire blanc américain : une femme « caucasienne » seule avec un homme noir court un grave danger.

L’incident n’est qu’un remake d’épisodes raciaux qui ont souvent eu, à l’ère de Jim Crow, des conséquences fatales pour l’homme noir qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment (Emmett Till, en 1955), voire pour la communauté à laquelle il appartenait (le massacre de Black Wall Street, à Tulsa en 1921).

Peu importe qu’Amy Cooper, comme elle l’a clamé dans ses excuses, ne soit pas raciste. Ce qu’on entend dans ses paroles, dans cette détresse qu’elle surjoue, c’est qu’elle porte en elle le racisme, comme on est dépositaire d’un héritage, un patrimoine culturel.

Sait-elle ce qu’elle fait, cette femme, derrière ses pleurs de demoiselle en détresse ? Criminalise-t-elle consciemment son « agresseur » en activant les préjugés institutionnels de la police dans l’espoir de provoquer une justice expéditive ? Espère-t-elle que l’homme qui la filme connaîtra la même fin qu’Ahmaud Arbery, Michael Brown, Trayvon Martin et tant d’Afro-Américains lynchés ou abattus sans sommation, tantôt par les forces de l’ordre, tantôt par des quidams-justiciers ?

La question de ses intentions, me semble-t-il, n’est pas pertinente : elle individualise un réflexe collectif, ancré dans une très longue histoire et déclenché en même temps par l’ignorance de cette histoire. Les « Karen », ces femmes blanches aveuglées par le privilège dont Amy Cooper est devenue l’incarnation en soixante-neuf secondes, ne sont de ce point de vue que les avatars 3.0 de ce que James Baldwin appelait les « innocents » : les progressistes blancs d’accord pour envisager le racisme comme un mal extérieur, mais qui ne sauraient remettre en question le bien-fondé de leur propre conduite. (...)