
T-shirt blanc et jeans bleu, Evgueni Roïzman comparaît dans la petite salle d’un tribunal d’Ekaterinbourg. Un procès comme il y en a eu des dizaines ces derniers mois et dernières années. Les charges retenues contre le prévenu : avoir "discrédité" l’armée en critiquant l’offensive russe en Ukraine.
Evgueni Roïzman était la dernière figure de proue de l’opposition politique en liberté en Russie. Sa condamnation est très probable, selon les spécialistes du système russe. S’il est emprisonné, la dernière voix critique du Kremlin dans le pays sera réduite au silence.
Liberté de ton
Son bras de fer avec Moscou ne date pas d’hier. Il est l’ancien maire d’Ekaterinbourg, ville d’un million et demi d’habitants en Sibérie. De 2013 à 2018, il se fait remarquer en luttant sans ménagement contre le trafic de drogue et la toxicomanie dans sa ville. Mais il est empêché de se présenter pour un second mandat. Sa liberté de ton à l’égard du Kremlin lui vaut des ennuis. Sur les réseaux sociaux, il relaie les messages du militant anticorruption Alexei Navalny et critique ouvertement le pouvoir.
Lorsque le Kremlin envoie les troupes russes en Ukraine début 2022, Evgueni Roïzman évoque une "invasion de l’Ukraine", et non une "opération militaire spéciale", comme l’impose le Kremlin. Il est d’abord condamné à des amendes pour avoir "discrédité" l’armée.
Mais un nouveau dossier est ouvert l’été dernier sur base d’une vidéo publiée sur la plateforme YouTube. Au cours de l’audience de ce mercredi, il a répondu "non" à la question de savoir s’il reconnaissait sa culpabilité dans cette affaire. L’ancien maire risque trois années de prison.
Assassinés, emprisonnés ou exilés
En deux décennies, le président Vladimir Poutine a progressivement étouffé toute possibilité de critiquer son pouvoir, que ce soit par les médias, les organisations non gouvernementales ou l’opposition politique. La liberté de parole instaurée après la chute du régime soviétique n’existe plus.
Les opposants au maître du Kremlin ont disparu du paysage les uns après les autres : soit ils ont été assassinés, soit ils sont en prison, soit ils se sont exilés. (...)
Empoisonnements (...)
Nouvelles accusations contre Navalny (...)
Hasard du calendrier : Alexeï Navalny comparaît également ce mercredi, le même jour que Evgueni Roïzman, pour de nouvelles charges retenues contre lui. La justice l’accuse d’"extrémisme". "Une accusation absurde qui me menace d’une peine allant jusqu’à 35 ans" de prison, a contesté Alexeï Navalny pendant l’audience.
Son avocat affirme qu’il souffre d’une maladie inconnue non prise en charge. Ses partisans sont persuadés que le Kremlin tente de le tuer à petit feu. (...)
Le sort de Vladimir Kara-Mourza est en tout point semblable à celui de Navalny. À 41 ans, cet opposant dit avoir survécu à deux empoisonnements. Il a été condamné le 17 avril à 25 ans de prison, pour "haute trahison", "fausses informations" sur l’armée et travail illégal pour une organisation indésirable.
Agents de l’étranger
L’année 2021 a marqué un durcissement de la répression en Russie et, parallèlement, une accélération de ce mouvement d’exil de milliers de militants de l’opposition. (...)
depuis l’invasion de l’Ukraine de février 2022, la liberté d’expression a subi de nouvelles restrictions plus sévères encore, comme le montrent les récents procès. Les tribunaux se basent désormais sur de nouveaux articles ajoutés au Code pénal pour punir ceux qui "discréditent" l’armée ou "publient de fausses informations" à son sujet.
Seule solution : l’exil
Toutes les grandes figures de l’opposition restées en Russie sont désormais derrière les barreaux ; les autres ont fui. (...)
Seuls quelques artistes engagés et militants de la société civile ont refusé d’émigrer, comme un acte de défi à un pouvoir qui a renoué avec des pratiques anciennes.
Les critiques de l’intérieur du système
Les seules voix discordantes qui s’expriment encore sont celles qui viennent de l’intérieur du système poutinien, comme celles du chef de la milice Wagner Evgueni Prigojine. Il critique régulièrement le manque d’efficacité de l’armée ou les lacunes dans les livraisons d’armes et de munitions sur le front ukrainien.
Restent aussi les multiples vidéos que des mobilisés russes publient sur les réseaux sociaux pour se plaindre de leur mauvais équipement ou des lacunes de l’encadrement militaire. Ils s’adressent en général au gouverneur de leur région, voire au président Poutine lui-même.
Des mères de soldats utilisent également ce moyen pour s’adresser directement aux autorités (...)
"Le pouvoir russe sait maîtriser l’opposition politique, analyse la sociologue Anna Colin-Lebedev. Il n’est pas bon dans la maîtrise de ce qui circule sur Internet, ni dans la maîtrise de l’image en général dans cette guerre. La protestation loyale et connectée peut être difficile à gérer."
Pour la spécialiste, la publication de ces vidéos correspond à la manière dont les Russes manifestent aujourd’hui leurs désaccords avec un pouvoir qui cadenasse l’espace public. (...)