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Mediapart
Le président du Sri Lanka chassé du pouvoir, plombé par l’inflation et les pénuries
Article mis en ligne le 10 juillet 2022

Gotabaya Rajapaksa a dû fuir samedi sa résidence de Colombo, prise d’assaut par des milliers de manifestants accablés par la crise économique que traverse le pays. Retranché, il a fait savoir qu’il démissionnerait le 13 juillet.

Accusé d’être le responsable de la crise économique sans précédent à laquelle le pays est confronté, le chef de l’État avait dû battre en retraite, samedi matin, alors que des milliers de manifestants forçaient les grilles de sa résidence officielle dans la capitale économique, à l’occasion de l’une des plus grandes marches antigouvernementales de l’année.

Malgré un couvre-feu et une grave pénurie de carburant qui paralyse les services de transport, des protestataires de toutes les régions de l’île se sont entassés dans des bus, des trains et des camions pour rejoindre Colombo samedi, afin d’exprimer leur fureur contre l’incapacité du gouvernement à les protéger de la ruine économique.

Depuis des mois, le pays rencontre des difficultés à importer des produits essentiels, ce qui provoque de graves pénuries de médicaments, de nourriture et de carburant ; les 22 millions d’habitants subissent une inflation galopante et des coupures de courant prolongées. Les Nations unies estiment ainsi qu’environ 80 % de la population saute des repas pour faire face à la flambée des prix.

Samedi midi, des vidéos circulaient de la résidence du président envahie par des manifestants, profitant de ses cuisines comme de sa piscine. (...)

La chute du président sonnerait comme le dernier acte de la fin d’un clan, d’une clique, d’une faction ayant mis le pays en coupe réglée. Ce soulèvement populaire du 9 juillet ressemble en effet à celui du 9 mai dernier, qui a chassé de son poste de premier ministre le frère aîné de l’actuel président : Mahinda Rajapaksa. Mahinda n’est autre que le boss suprême, surnommé « Terminator » par les siens. Il avait lui-même été président de la République de 2005 à 2015 – réservant à son petit frère Gotabaya le poste de ministre de la défense.

Battu au bout de dix ans, alors qu’il se présentait pour un troisième mandat, il avait alors tenté de se cramponner au pouvoir, avant de concéder sa défaite pour mieux préparer sa revanche : faire installer en 2019, après bien des pressions et des manœuvres, son frère puîné à la présidence, tout en se réservant le poste de premier ministre. (...)

Tant d’abus de pouvoir et de conflits d’intérêts de la part d’une famille et de milieux d’affaires parasitaires se gavant littéralement dans l’ex-Ceylan (colonie britannique jusqu’en 1948) s’accompagnèrent d’une faillite économique totale. Colombo s’est livré pieds et poings liés à Pékin, sous couvert de contracter des emprunts devenus impossibles à rembourser.

7 milliards de dollars de prêts chinois ont ainsi été engloutis dans des infrastructures aussi fantômes que loufoques et entretenant la corruption : un aéroport dépourvu d’avions, un stade de cricket où aucune balle n’a jamais été lancée, un centre de convention dernier cri n’ayant jamais accueilli la moindre conférence. (...)

Conséquence de la guerre en Ukraine, la flambée des prix des denrées alimentaires et de l’énergie a porté un coup fatal à une économie si mal gérée, au point de faire descendre dans la rue jusqu’à d’anciens partisans du gouvernement. Les dominos du clan Rajapaksa sont alors tombés un à un. (...)

Le monde du Sud est menacé par le spectre d’émeutes de la faim provoquées en particulier par la hausse insupportable du prix du blé – cause de tant de jacqueries et de soulèvements « frumentaires » dans la France d’Ancien Régime. De l’Afrique au Pakistan, la situation alimentaire, économique et financière se dégrade, tandis que le désespoir et l’exaspération montent parmi des peuples qui se sentent dépossédés de tout.

Sans oublier la question des réfugiés économiques et alimentaires : l’afflux de Sri-Lankais en Inde – en particulier dans l’État du Tamil Nadu –, inquiète les autorités locales et nationales.

Le Sri Lanka, par sa position extrême – les membres de la famille Rajapaksa en pillards nuisibles et le nœud coulant chinois qui se resserre –, paraît prendre de l’avance sur une situation explosive que pourrait connaître une partie de la planète, déjà confrontée aux bouleversements climatiques.