
Les forces de l’ordre ont multiplié les charges en marge de la manifestation parisienne, samedi. Après le départ de Didier Lallement du poste de préfet de police de Paris, « l’effet Nuñez », du nom de son remplaçant, vanté par une partie de la presse, a été de courte durée.
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La manifestation va-t-elle faire bon ménage avec son « cortège de tête » ? Le SO pourra-t-il temporiser et protéger les manifestants de la foudre policière ? Comment va se comporter la police ? Jusqu’à mardi 7 mars, la situation avait été calme ou presque. (...)
En février, le préfet Laurent Nuñez avait fait savoir que de « nouvelles méthodes » étaient mises en œuvre dans la police parisienne : des effectifs moins visibles, plus à distance, mais censés intervenir vite et fort en cas de dégradations. (...)
Cette ligne risquait d’être reconsidérée, et durcie, après le niveau d’affrontement jugé élevé, mardi. Les forces de l’ordre ont compté 40 blessés dans leurs rangs et plusieurs cocktails Molotov ont été lancés. (...)
À quelques centaines de mètres du SO intersyndical, samedi, la foule du cortège de tête commence à se rassembler et à avancer lentement autour d’un groupe de « gilets jaunes ». (...)
Les militants en K-way et passe-montagne noirs arrivent à leur tour. Un bloc se constitue lentement. Des banderoles sont dépliées. (...)
Cherchant des policiers, le bloc se positionne face à la rue du Chemin-Vert. Mais rien ne vient. Des coups sont portés sur la vitrine d’un magasin de motos Harley Davidson. Des poubelles sont renversées. Et ça vient. Quelques unités de gendarmes chargent sur le boulevard Beaumarchais, puis s’arrêtent. Le bloc s’est replié derrière le cortège. Une vieille dame peste devant le bris de vitrine des Harley. (...)
Le boulevard est peu à peu repris par les manifestants, mais des policiers en nombre remontent par les trottoirs. Le bloc recule, se replie de nouveau, se colle au service d’ordre, non loin du ballon jaune et rouge de la CGT. Les manifestants en noir ouvrent une dizaine de parapluies devant eux, ce qui les identifie un peu plus, sans bien sûr les protéger.
En un instant, les policiers de la Compagnie d’intervention (CI) de la préfecture sont sur eux, à gauche du cortège, matraque tendue vers le ciel. Ils s’enfoncent dans la foule en tapant. Le SO est épargné. Une demi-douzaine de manifestants sont au sol, maintenus par des policiers. Ils sont bientôt soulevés par les bras et les jambes et emportés comme des moutons dans une rue latérale. La nouvelle méthode Nuñez rappelle fort les préceptes Lallement. (...)
À Bastille, nouveau stratagème : installer une double ligne de gendarmes devant le SO et empêcher le cortège d’avancer. Pourquoi ? Mystère. La foule s’agglutine de part et d’autre du cordon, ça s’échauffe, les gendarmes se replient sur les trottoirs. La place de la Bastille est encombrée de bataillons policiers en armures qui effectuent des manœuvres incompréhensibles.
Avenue Daumesnil, le retour des K-way noirs dans la foule signale qu’un « bloc » s’est reformé. Quelques abris bus sont méthodiquement explosés au marteau. Un feu est allumé avec quelques poubelles et un Velib. Pas d’uniformes en vue. Un léger parfum d’émeute remplit la rue.
Mais c’est un répit de courte durée. Les compagnies d’intervention reviennent vite des rues adjacentes, partout. Bientôt, elles chargent, comme sur Beaumarchais, matraque en avant, sur les trottoirs, poursuivant les manifestants en noir, mais tapant tout ce qui bouge. On hurle autour d’eux. « Il y a des enfants », répète une femme. Les manifestants sont massés contre les vitrines, les portes des bâtiments. D’autres s’agglutinent au cortège. Les policiers maintiennent leur position cinq minutes, puis reculent.
Ils laissent des blessés. Un lycéen et une lycéenne sont par terre et pris en charge par des street medics au pied d’un arbre. (...)
Les forces de police bloquent le boulevard et empêchent désormais le cortège de progresser. Ça dure. Tellement que le camion de la CGT interrompt la musique. « Le droit de manifester est inscrit dans la Constitution, lance un syndicaliste sur la sono. De quel droit le préfet de police nous empêche d’avancer ? » « On avance ! On avance ! On avance ! » Le cortège pousse devant lui. Les lignes policières fléchissent.
Joie. La manifestation applaudit. La sono annonce : « On ira jusqu’au bout pour défaire ce gouvernement ! » (...)
Le cortège avance finalement jusqu’à Nation, sans nouveaux heurts. Mais il est bloqué à l’entrée de la place. Cette fois, c’est un groupe de gilets jaunes, pour certains masqués, qui s’avance vers le service d’ordre intersyndical. « C’est pas du black bloc, c’est du gilet jaune crypto faf », juge un militant.
Mardi dernier, place d’Italie, un camion de la CGT a déjà été attaqué au moment de quitter la manifestation. Un collectif de gilets jaunes animé par Frédéric Jamet, un ancien policier d’extrême droite, ancien de l’Œuvre française et proche des Zouaves (un groupuscule ultraviolent dissout en 2020), était sur le coup. (...)
Samedi, Jamet a encore appelé ses troupes à se joindre au cortège, avec pour « seul mot d’ordre » : « Mort à la gueuse ! » – le cri de ralliement des Croix-de-Feu dans les années 1930.
Des bouteilles et des projectiles sont lancés sur le SO, qui riposte avec un jet de lacrymo au poivre. Tout le monde pleure. Il est presque 19 heures, la dispersion est proche.