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Entre les lignes entre les mots
Le porno est un enjeu de gauche
Dr. Gail Dines PHD, est professeure de Sociologie au Wheelock College de Boston, USA. ; Robert Jensen est docteur en droit & éthique des médias. Il est professeur d’Université à l’École de journalisme de Austin, au Texas.
Article mis en ligne le 5 février 2018

Les féministes antiporno finissent par s’habituer aux insultes de la gauche. Sans cesse, on nous dit que nous sommes anti-sexes, prudes, simplistes, politiquement naïves, créant de la division et étroites d’esprit. Les critiques les plus grossières n’hésitent pas à suggérer que le remède à ces maux résiderait dans une solide expérience sexuelle, qui nous ferait défaut.

En plus des insultes, nous sommes constamment confrontées à une question : Pourquoi perdons-nous notre temps sur la question de la pornographie ?

Puisque que nous sommes des anticapitalistes, des gauchistes anti-impérialisme, ainsi que des féministes, ne devrions-nous pas mettre l’accent sur les nombreuses crises politiques, économiques et écologiques (la guerre, la pauvreté, le réchauffement climatique, etc.) ? Pourquoi avoir dépensé une partie de notre énergie intellectuelle et capacités d’organisation au cours des deux dernières décennies à la poursuite de la critique féministe de la pornographie et de l’industrie du sexe ?

La réponse est simple : nous sommes contre la pornographie précisément parce que nous sommes de gauche, ainsi que féministes. (...)

pour des raisons inexpliquées, nous ne sommes pas censés prendre ces représentations pornographiques sérieusement ou les considérer comme des produits soigneusement construits dans un système plus large de sexe, de race, de classe et d’inégalité. Le travail précieux effectué par les critiques des médias sur les politiques de la production n’a apparemment aucune valeur en ce qui concerne la pornographie. (...)

Pourquoi tant de personnes de la gauche semblent-elles supposer que les pornographes fonctionnent dans un univers différent des autres capitalistes ? Pourquoi la pornographie serait-elle la seule forme de représentation produite et distribuée par les entreprises capitalistes qui ne servirait pas de moyen de légitimer l’inégalité ? Pourquoi les pornographes seraient-ils les seuls capitalistes des médias à être rebelles et à chercher à renverser des systèmes hégémoniques ?

Pourquoi les pornographes reçoivent-ils un laissez-passer d’une si grande partie de la gauche ?

Après des années à faire face à l’hostilité de la gauche en public et dans les écrits, nous pensons que la réponse est évidente : le désir sexuel peut limiter la capacité des gens à raisonner de façon critique – surtout chez les hommes dans le patriarcat, où le sexe n’est pas seulement synonyme de plaisir, mais aussi de pouvoir.

Les gens de la gauche – particulièrement les hommes – doivent se défaire de cette obsession du droit à l’excitation sexuelle.

Analysons la pornographie non pas à travers le sexe, mais en tant que média. Qu’allons-nous y trouver ?(...)

En écoutant un grand nombre de gauchistes défendre la pornographie, on pourrait croire que le matériel est fait par des artistes solitaires et sans le sou qui luttent sans relâche pour nous aider à comprendre les mystères de la sexualité. Rien ne pourrait être plus loin de la vérité ; l’industrie de la pornographie est seulement cela – une industrie, dominée par des entreprises de production créant le contenu et des grandes entreprises de masse profitant de sa distribution.

Il est facile d’écouter les conversations des pornographes, ils ont un magazine commercial, Adult Video News. Leurs discussions n’ont pas tendance à se concentrer sur le potentiel de transgression de la pornographie ou sur la nature polysémique des textes sexuellement explicites. Elles tournent plutôt autour de – quelle surprise ! – des profits. Les histoires du magazine ne reflètent aucune conscience critique à propos de quoi que ce soit, surtout pas à propos du genre, de la race et du sexe. (...)

La marchandisation

Il est depuis longtemps compris par la gauche que l’un des aspects les plus insidieux du capitalisme est la marchandisation de tout. Il n’y a rien qui ne peut être vendu dans le jeu capitaliste de l’accumulation sans fin.

Dans la pornographie, les enjeux sont encore plus élevés car ce qui y est réifié est essentiel à notre personne. Quelle que soit la sexualité d’une personne ou sa vision de la sexualité, presque tout le monde est d’accord qu’il s’agit d’un aspect important de notre identité. Dans la pornographie, et dans l’industrie du sexe d’une manière plus générale, la sexualité n’est qu’un produit de plus à être emballé et vendu.

Lorsque ces préoccupations sont soulevées, les gauchistes pro-pornographie sont souvent très prompts à expliquer que les femmes dans la pornographie ont choisi ce travail. Bien que toute discussion sur le choix doive prendre en considération les conditions dans lesquelles le choix est effectué, les féministes ne contestent pas le fait que les femmes choisissent, elles respectent ce choix et essayent de le comprendre.

Mais, à notre connaissance, aucun gauchiste ne défend les médias capitalistes ou toute autre entreprise capitaliste en soulignant que les travailleurs ont consenti à faire leur travail. Les gens produisant du contenu médiatique, ou tout autre produit, consentent à travailler dans ces entreprises, sous diverses contraintes et opportunités. Et alors ? La critique ne porte pas sur les travailleurs, mais sur les propriétaires et sur la structure. (...)

Dans notre compréhension de l’analyse de gauche, nous ne mettons pas l’accent sur les décisions individuelles prises pour trouver la manière de survivre dans un système qui marchande à peu près tout et nous prive d’occasions significatives de contrôler notre vie. Il s’agit pour nous de lutter contre un système.

Le racisme

Tandis que les formes les plus flagrantes et abjectes de racisme ont disparu des médias grand public, les militants ont continué à souligner que des formes plus subtiles de racisme perdurent et que leur reproduction constante par les médias pose problème. Il est entendu que la question raciale est importante, tout comme le sont les représentations médiatiques de la race.

Par ailleurs, la pornographie est le seul domaine médiatique où le racisme manifeste est toujours acceptable. Pas le racisme subtil ou métaphorique, mais le racisme américain à l’ancienne les représentations stéréotypées de l’étalon noir, de la femme noire animale, de la bombe latina, de la geisha asiatique soumise. Les fournisseurs de pornographie ont une catégorie spéciale, « interraciale », qui permet aux consommateurs de fantasmer sur diverses combinaisons raciales et scénarios racistes.

Le racisme de l’industrie est tellement répandu qu’il passe largement inaperçu. (...)

Le sexisme

Le marché de la pornographie hétérosexuelle contemporaine de masse constitue l’essentiel du marché du matériel sexuellement explicite et est un lieu où une signification particulière du sexe et du genre est créée comme diffusée. Le message idéologique central de la pornographie est facile à discerner : les femmes existent pour le plaisir sexuel des hommes, sous quelque forme que ceux-ci le veulent, et peu importe quelles en sont les conséquences pour elles. Ce n’est pas seulement que les femmes existent pour le sexe, mais qu’elles existent pour le sexe que les hommes veulent.

En dépit des réclamations naïves (ou malhonnêtes) au sujet de la pornographie en tant que véhicule pour la libération sexuelle des femmes, l’essentiel de la pornographie de masse est incroyablement sexiste. (...)

Tandis que l’industrie « évolue », le genre le plus populaire, appelé « Gonzo », continue de repousser les limites de la dégradation et de la cruauté envers les femmes. Les créateurs reconnaissent qu’ils ne savent pas vers où aller après ce niveau.

Cette misogynie n’est pas une caractéristique particulière de quelques films marginaux. En se basant sur trois études de contenu de vidéos pornographiques mainstream au cours de la dernière décennie, nous concluons que cette haine des femmes est centrale à la pornographie contemporaine. (...)

Le marché de masse de la pornographie ne célèbre pas les femmes et leur sexualité, mais exprime plutôt un mépris pour les femmes et célèbre la permission d’exprimer cette haine à travers le sexe. (...)

La pensée critique et sophistiquée qui sous-tend le meilleur de la politique de gauche peut céder la place à une analyse simpliste, politiquement naïve et de diversion qui laisse beaucoup trop de militants jouer les meneurs de foule pour cette industrie basée sur l’exploitation. Dans ces analyses, nous ne sommes pas censés examiner l’idéologie de la culture et de quelle manière elle façonne la perception qu’ont les gens de leur choix, et nous devons ignorer les conditions dans lesquelles les gens vivent ; tout se résume à un choix individuel.

Une critique de la pornographie n’implique pas que la liberté d’une personne de choisir n’est pas importante, mais soutient au contraire que ces questions ne peuvent pas être réduites à ce seul moment de choix d’un individu. Au lieu de cela, nous devons nous demander : Qu’est-ce que la liberté au sein d’un système capitaliste raciste et sexiste ? (...)

Nous soutenons que les militants de gauche qui prennent au sérieux le féminisme doivent finir par voir que la pornographie ainsi que d’autres formes d’exploitation sexuelle, principalement des femmes et des jeunes, par les hommes dans le capitalisme est incompatible avec un monde dans lequel les gens ordinaires peuvent prendre le contrôle de leur propre destinée.

C’est la promesse de la gauche, du féminisme, des théories critiques du racisme, de l’humanisme radical, de chaque mouvement émancipateur de l’histoire moderne.