
René Backmann, Jean-Paul Chagnollaud, Dominique Vidal et 30 spécialistes du Moyen-Orient critiquent le double alignement sur Washington et sur Tel-Aviv de Paris face à un plan « dangereux pour la paix ».
Si le plan Trump était mis en œuvre, il marquerait un tournant majeur dans l’histoire du conflit israélo-palestinien. Ce plan qui est de fait un plan « Netanyahou-Trump » liquiderait en effet la solution que la communauté internationale prône depuis des décennies, la solution des deux Etats. Unilatéral, il offre à Israël la possibilité d’annexer une grande partie de la Cisjordanie, ne laissant aux Palestiniens que la vague perspective d’obtenir des « bantoustans » discontinus. Un « Etat » qui n’en serait pas un puisque dépourvu de continuité territoriale, de maîtrise de ses frontières et de souveraineté ! (...)
Le plan prévoit l’annexion, outre Jérusalem-Est, de la vallée du Jourdain et des colonies israéliennes de Cisjordanie, y compris les implantations isolées et les « avant-postes » que même le droit israélien considère comme illégaux. Cette extension de la souveraineté israélienne pourrait entrer en vigueur « sans attendre », a précisé l’ambassadeur américain à Jérusalem, David Friedman. Ce plan envisage même de mettre en œuvre la vieille proposition raciste d’Avigdor Liberman visant à transférer à cet hypothétique « Etat » palestinien le territoire israélien de la région d’Umm al-Fahm (le « Triangle »), parce qu’il est peuplé en grande majorité de citoyens palestiniens d’Israël (plusieurs centaines de milliers).
Bref, le président américain prétend octroyer, selon son bon vouloir, comme au temps de la colonisation, des territoires sur lesquels il n’a évidemment aucun droit, pour satisfaire les revendications de la droite nationaliste, avec pour conséquence l’institutionnalisation d’un système d’apartheid aux implications dévastatrices. On se croirait revenu à la déclaration Balfour dont Arthur Koestler disait : « Une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième. » (...)
Pour le quotidien israélien Haaretz, l’examen des détails du plan suffit à s’en convaincre : « Il ne conduira pas à un Etat palestinien, mais à la prise de contrôle totale de l’ensemble de la Cisjordanie par Israël. »
Ces propositions violent toutes les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, de la 242 (1967) à la 2 334 (2016) (...)
Il s’agit d’un véritable coup de force contre le droit international. Il est toujours possible de modifier les règles de celui-ci, mais cela ne peut se faire que par l’accord entre tous les Etats. À l’instar de la Charte des Nations unies, il est le produit du multilatéralisme et, en tant que tel, il constitue un bien commun de l’humanité qu’il faut impérativement préserver. Ce plan n’a aucune valeur juridique. Ce n’est qu’une déclaration politique dépourvue de portée normative, qui ne repose que sur l’exacerbation des rapports de force.
C’est pourquoi nous avons pris connaissance avec étonnement de la réaction du Quai d’Orsay : « La France salue les efforts du président Trump et étudiera avec attention le plan de paix qu’il a présenté. Elle exprime sa conviction que la solution des deux Etats, en conformité avec le droit international (…) est nécessaire à l’établissement d’une paix juste et durable au Proche-Orient. »
Un tel communiqué est contradictoire : comment, dans un même mouvement, saluer les « efforts » du président Trump et réaffirmer la « solution » des deux Etats, alors que les premiers cherchent à détruire la seconde ? Hélas, cet oxymore dissimule mal un double alignement : sur Tel-Aviv et sur Washington. (...)
Une telle posture risque de nous couper davantage encore du monde arabe qui, malgré ses multiples contradictions, vient de rejeter au cours d’une réunion de la Ligue arabe ce plan dangereux pour la paix.
Il en va donc de l’honneur de la diplomatie française, et du même coup de son efficacité. La fidélité aux principes qui ont fondé pendant des décennies la politique de la France dans la région impliquerait que l’Elysée rappelle avec force, dans un moment aussi critique, les résolutions majeures des Nations unies sur le règlement de la question de Palestine et les dispositions pertinentes du droit international sur l’occupation, la colonisation et l’annexion d’un territoire acquis par la force.