
Fermeture des centres de rétention et accès à la nationalité pour les enfants nés sur place : le nouveau gouvernement grec assume une politique accueillante à l’égard des migrants. Saluées par les associations de défense des droits des étrangers, ces mesures, qui vont à contre-courant des législations restrictives adoptées dans l’Union européenne, préoccupent Bruxelles.
la politique d’immigration et d’intégration engagée en Grèce à la suite de l’arrivée du parti de la gauche radicale Syriza au pouvoir est unique en Europe. Elle fait de l’hospitalité à l’égard des migrants sa priorité, quand presque partout dans l’Union européenne les États membres considèrent les étrangers comme une menace et adoptent des législations restrictives pour décourager leur venue.
Au-delà des promesses, elle constitue un virage à 180 degrés par rapport aux mesures prises au cours des trois dernières années par le très droitier Antonis Samaras, à l’origine notamment de la construction d’un mur le long de la rivière Evros, à la frontière avec la Turquie.
S’il est encore trop tôt pour en mesurer l’ampleur, ce bouleversement, qui suscite l’espoir des migrants et de leurs soutiens associatifs, inquiète en revanche les chefs d’État des pays voisins pour une raison principale : la Grèce est l’une des principales portes d’entrée dans l’UE. Selon Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières extérieures, 50 000 personnes ont débarqué sans autorisation par cette route orientale en 2014, soit près d’un cinquième de l’ensemble des « passages illégaux ». La réforme, redoutent-ils, va créer un « appel d’air » et déstabiliser le vieux continent. (...)
L’ambition du gouvernement Tsipras est, d’une part, de mettre fin aux absurdités, aux injustices et aux abus qui régnaient jusque-là et ont conduit à de multiples condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme, et d’autre part de mieux intégrer la population immigrée dans la société. (...)
La nouvelle politique prend appui sur la fermeture des centres de rétention, où sont détenus quelques milliers d’étrangers en situation irrégulière pour une durée pouvant excéder dix-huit mois. Alexis Tsipras en avait fait une promesse phare de sa campagne électorale. Les barreaux n’ont pas disparu d’un coup : la mise en place de cette mesure inédite en Europe est progressive. Dès février 2015, le gouvernement a annoncé la « libération immédiate » des demandeurs d’asile (détenus de manière illégale au regard du droit européen) et des personnes « vulnérables » (les familles, les enfants, les mineurs non accompagnés, les femmes enceintes, les victimes de violences, les malades et les personnes âgées). Leur transfert est prévu vers des « centres d’accueil ». Les personnes enfermées depuis plus de six mois sont aussi concernées en priorité. Les autres sortiront au fur et à mesure. Des dispositifs alternatifs à la rétention ont été identifiés. (...)
Pour éviter que les personnes remises en liberté ne se retrouvent sans abri, le gouvernement affirme préparer « la transformation des centres de rétention restants en centres d’accueil ouverts ». Autrement dit, des centaines de places d’hébergement seraient mises à disposition. (...)
Le bureau grec du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) a aussitôt salué ces annonces. « Nous coopérons de près avec les autorités compétentes », affirme l’une de ses responsables, Ketty Kehayioylou. Joint par Mediapart, le vice-président de la Ligue hellénique des droits de l’homme (LDH), Dimitris Christopoulos, aujourd’hui consulté par le ministère de l’intérieur mais aussi partie prenante des discussions sur ce dossier avec les institutions européennes, se réjouit : « Nos propositions, pour lesquelles nous nous battons depuis des années, ont été entièrement reprises par le nouveau gouvernement. » Selon lui, l’accueil des migrants et leur traitement vont changer. (...)
Quel statut va être réservé aux migrants autrefois enfermés ? Vont-ils être régularisés ? Que va-t-il advenir des étrangers en situation irrégulière vivotant dans le pays ? Leur nombre – entre 250 000 à 300 000 selon les estimations officielles – a augmenté en flèche avec la crise. L’obtention des titres de séjour (d’une durée de deux ou trois ans le plus souvent) étant conditionnée au paiement des cotisations sociales, toutes les personnes ayant perdu leur emploi ou ayant travaillé au noir n’ont pu faire renouveler leurs papiers. Des étrangers en règle il y a quelques années tombent ainsi dans l’illégalité. « Ce qui a été fait par les précédents gouvernements n’était pas seulement une politique inhumaine, c’était une politique contre-productive », insiste Dimitris Christopoulos, par ailleurs professeur de droit à l’université Panteion d’Athènes. L’objectif du gouvernement, qui ne s’est pas encore exprimé clairement sur cette question, doit donc être, selon lui, de « normaliser le statut de ces personnes vivant en Grèce depuis des années ». Et qui, faute d’autorisations, ne peuvent voyager dans l’espace Schengen. (...)
Le volet intégration de la réforme, qui concerne l’accès à la nationalité des enfants d’immigrés, est le plus avancé. La ministre adjointe à la politique migratoire (au sein du ministère de l’intérieur), Anastasia Christodoulopoulou, une avocate active de longue date auprès des immigrés, le confirme à Mediapart : « Mon pays se trouve actuellement dans la situation budgétaire que vous connaissez. Toutefois, avec les fonds de la Caisse d’intégration, nous ferons ce que nous pourrons pour renforcer ces politiques. De plus, notre priorité est de mettre en place une bonne gestion dans la répartition de ces fonds. (…) Par conséquent, le premier projet de loi que le ministère va présenter immédiatement au parlement grec – et quand je dis immédiatement, je veux dire pendant les deux semaines qui arrivent –, c’est le changement du Code de la nationalité afin de permettre de manière solide l’obtention de la nationalité aux enfants d’immigrés qui sont nés et ont grandi dans notre pays. »
La réforme du Code de la nationalité constitue une petite révolution. Jusqu’à présent, le code grec était régi par le droit du sang. La loi « Ragoussis », du nom du ministre socialiste qui l’avait fait voter en 2010, avait introduit des modifications importantes : elle avait permis aux enfants d’immigrés nés sur le sol grec d’obtenir, à leur majorité, la citoyenneté grecque. Mais elle a cessé d’être appliquée dès l’arrivée de la droite au pouvoir, en 2012, et a été ensuite invalidée par le Conseil d’État en 2013. Le gouvernement Tsipras a pour projet de faire voter une nouvelle loi, dans le même esprit, afin que tous les enfants d’immigrés nés sur le sol grec, qui sont allés à l’école grecque et n’ont pas ou peu de liens avec le pays d’origine de leurs parents, obtiennent la nationalité. (...)
Pour faire face à l’absence de ressources financières et ne pas rester isolés, les concepteurs de la nouvelle politique d’immigration et d’intégration cherchent les moyens d’impliquer l’Union européenne. Prenant exemple sur l’ex-leader libyen Mouammar Kadhafi, le ministre de la défense, Panos Kamménos, numéro un du parti souverainiste anti-austérité des Grecs indépendants, l’a dit d’une manière brutale, menaçant en préambule d’un Eurogroupe d’« inonder l’Europe de migrants » si les dirigeants européens ne trouvaient pas rapidement une solution à la crise de la dette. « On leur distribuera des papiers valides qui leur permettront de circuler dans l’espace Schengen. Ainsi, la marée humaine pourra se rendre sans problèmes à Berlin. Et tant mieux si, parmi ces migrants, se trouvent des djihadistes de l’État islamique », a-t-il lancé, contribuant à nourrir les amalgames.
Refusant d’en passer par le chantage, la ministre de l’immigration appelle elle aussi les États membres à prendre leurs responsabilités. « Environ 70 000 personnes, dont presque la moitié de Syriens, sont arrivées en Grèce l’année dernière, affirme-t-elle. Ce sont donc des réfugiés. Qu’allons-nous faire de cette situation ? Allons-nous transformer le pays en camp de concentration afin que l’UE dorme tranquille ? Non, ce n’est pas possible… » (...)
Aux frontières avec la Turquie, rien n’a changé pour l’instant. Elles ne sont pas ouvertes à tout vent, contrairement à ce qu’affirment certains responsables européens pour affoler les opinions publiques. (...)
Le gouvernement Tsipras s’est par ailleurs engagé à mettre fin aux pratiques illégales de refoulement (push-back) des migrants par les forces de l’ordre, dénoncées par plusieurs ONG.
L’enjeu frontalier obnubile Bruxelles parce que la Grèce est un pays de transit. (...)
Après des années d’absence de gestion, cet ensemble de mesures constitue une avancée pour les migrants, qui attendent beaucoup du gouvernement. Les premiers effets sont d’ores et déjà sensibles, dans un pays marqué par de nombreuses violences racistes : s’ils continuent d’être victimes d’actes xénophobes, les étrangers sont moins stigmatisés dans les discours publics. La suite des réalisations va dépendre du bras de fer, à l’intérieur du gouvernement, entre le ministère de l’immigration et celui de la défense. Ainsi que de la volonté de Bruxelles, source importante de financements. Or, en la matière, il n’est pas certain que la commission européenne se précipite, étant donné les craintes exprimées en haut lieu. Il n’est pas certain non plus que Dimítris Avramópoulos, le nouveau commissaire chargé des migrations et affaires intérieures, membre du parti conservateur de la Nouvelle Démocratie cherche à faciliter la tâche d’Alexis Tsipras.