
La visite du député dans le commissariat de Bordeaux a mis en lumière le sombre centre de rétention. Les occupants de ce « lieu de vie », maintes fois critiqué par le contrôleur des lieux de privation de liberté, avaient lancé une grève de la faim inédite.
Il y a un sas, un deuxième, puis un étage à descendre, puis un nouveau sas à passer. Le centre de rétention administrative (CRA) se trouve au sous-sol de ce labyrinthe qu’est le commissariat de Bordeaux. Précédée et suivie par des policiers, une poignée de journalistes accompagne Loïc Prud’homme qui visite les lieux en sa qualité de député. (...)
« Nous jugeons préférable de mourir ici plutôt que d’affronter les persécutions, les souffrances qui nous attendent dans nos pays d’origine. (…) Nous sommes uniquement coupables de ne pas être en possession de ce trésor appelé titre de séjour et donc enfermés telles des personnes auteures de quelconques crimes ou actes répréhensibles »
Une semaine et deux hospitalisations pour tentative de suicide plus tard, la moitié poursuit toujours le mouvement. Alerté par la Cimade, Médecins du monde et l’institut de défense des étrangers, le député de la France Insoumise a souhaité rencontrer ceux qui se nomment les « enfermés ».
De sas en sas au sous-sol (...)
Les 450 m² du centre semblent plutôt propres. Il y a 20 places. Le réfectoire a 5 tables et 10 bancs scellés au sol face à deux télés : l’une branchée sur les clips de Cstar, l’autre sur W9 avec « Les Marseillais contre le reste du monde ». À notre arrivée, une seule personne regarde un écran.
Au milieu des couloirs, des téléphones à carte sans cabine sont à la disposition des retenus, qui peuvent par ailleurs utiliser leurs téléphones portables à condition qu’ils ne soient pas équipés d’appareil photo.
Chaque chambres, de 12 m², contient quatre lits. Peu de place pour les effets personnels. Aucune pour l’intimité. Mais, la direction du lieu insiste – peut-être un peu trop – en présentant les locaux au député :
« Chacune des chambres a une fenêtre qui ouvre sur la cour. »
Celle-ci ressemble plus à une fosse qu’à une courette verdoyante, n’en déplaise aux arbres peints sur les murs. (...)
Trois rapports à charge
L’emplacement du CRA n’est pas passé inaperçu aux yeux du Contrôleur général des lieux de privations de liberté qui l’a qualifié d’ »intrinsèquement inadapté » en 2015. L’autorité administrative indépendante a établi trois rapports à charge de 2009 à 2015 :
« La localisation en sous-sol, limitant la luminosité des lieux et la consistance de la “cour de promenade”, simple patio exigu en sous-sol de la dalle de l’immeuble, rendent les conditions de rétention indignes » observe le contrôleur général.
Il ajoute que, faute d’espace de rangements, le ménage « consiste à nettoyer le sol dans les endroits où il n’est pas recouvert d’objets ou de vêtements ». Niveau ambiance, il est décrit que :
« L’ennui règne, évidemment, épais et persistant, sans que policiers et intervenants – les premiers à en être navrés et à en subir les effets en termes de tensions – aient les moyens d’y porter remède. »
Pourtant, comme le recommande le contrôleur des lieux de privation de liberté, les fonctionnaires de la police aux frontières et l’office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) avaient proposé l’installation de matériel de sport pour améliorer le quotidien des retenus. Le projet « a été refusé « en haut lieu » à la déception générale » déplore le rapport. (...)
Ce mardi, Loïc Prud’homme est venu rencontrer les retenus pour « s’enquérir de leur santé » et en savoir plus sur les raisons et les conditions de leur détention. Le porte-parole désigné par le groupe, Alpha Diallo explique les raisons de leur mouvement de contestation :
« On a des difficultés pour faire une demande de régularisation. C’est un mouvement pacifique, nous n’avons pas de problème avec la police. »
Malgré la présence policière à l’écoute, il rapporte que, depuis une semaine, plusieurs visites ou passages à l’hôpital ont été refusées ou qu’il a fallu plusieurs heures pour que les fonctionnaires viennent au secours d’un gréviste de la faim en plein malaise. D’autres tenteraient de dissuader les grévistes de jeûner. Un homme fend le petit groupe pour montrer ses blessures à la main :
« Sept policiers sont venus me prendre dans la chambre pour me mettre en chambre d’isolement. Ils m’ont frappé. » (...)
Un irakien de la minorité kurde tenait un restaurant à Limoges depuis une dizaine d’années avant d’être placé au centre début août. Sa compagne a dû fermer leur établissement, dort près de l’hôtel de police dans sa voiture pour pouvoir lui rendre visite. Deux sénégalais avaient traversé le Maroc et l’Espagne pour arriver en France. Ils s’étaient rendus au commissariat de Limoges pour faire une demande d’asile. Interpelés et menottés sur place, ils n’en sortiront que pour être conduits au CRA.
Tous veulent en dire plus. Alpha Diallo reprend la main et questionne Loïc Prud’homme :
« Qu’est-ce qu’on peut espérer ? »
Le député ne promet rien. Selon lui, un certain nombre de retenus n’ont pas à l’être et pourraient plus simplement être soumis à une assignation à résidence. Il souhaite rencontrer à ce titre le préfet. Ce dernier, à la suite de la visite du député, a assuré s’en remettre au juge des libertés qui a confirmé 15 des 16 rétentions (la dernière est en attente).
Le ministre mal renseigné
Nécessaires pour éviter le CRA, les garanties présentées par les exilés (preuves d’identité, d’hébergement…) semblent de moins en moins suffisantes pour les juges selon Mélanie Maugé. L’intervenante de la Cimade pour l’aide juridique au sein du centre note que les ennuis volent d’ailleurs en escadrille :
« Le délai de recours [pour une obligation de quitter le territoire, ndlr] est très réduit dans un CRA. Il est de 48h en rétention contre plus de deux semaines dans une procédure normale en France métropolitaine. Pour ceux qui arrivent le week-end, nous avons une permanence téléphonique. Mais souvent ils ne le comprennent pas et laissent passer le délai », explique-t-elle au député.
Enfin, le député rencontre le service médical lié au CHU Pellegrin qui déplore l’absence de psychologue et psychiatre. Pourtant, face à cette critique déjà émise en 2015 par le contrôleur des lieux de privation de liberté, le ministre de l’intérieur Gérard Collomb vient d’affirmer en juin dernier qu’un psy intervient… « parfois ».
A la sortie du commissariat, Loïc Prud’homme avoue aux militants rassemblés avoir été « percuté de plein fouet » par sa visite (...)