
Coauteur d’un rapport pour la Fondation Jean-Jaurès qui fait le tour des expérimentations pour réduire le sans-abrisme, Christophe Sente dévoile notamment le bilan de cette mesure testée à Salt Lake City, qui consiste à donner un logement sans conditions aux SDF.
Le sort des sans-abri a suscité de vives polémiques lors de la dernière vague de froid. Un rapport de la Fondation Jean-Jaurès intitulé « Zéro SDF ? Pour l’attribution universelle d’un logement » propose des solutions pour lutter contre la grande exclusion. Docteur en sciences politiques, chercheur à l’Université libre de Bruxelles, Christophe Sente (1), auteur de cette étude avec Julien Raone, nous livre les résultats d’expériences innovantes menées dans plusieurs villes.
Dans votre rapport, vous évoquez le développement d’un « sans-abrisme structurel à grande échelle » dans les sociétés occidentales. Quelles en sont les causes ?
L’apparition d’un sans-abrisme de masse dans l’Union européenne (environ 900 000 personnes cherchent un hébergement chaque nuit) est un produit des évolutions socio-économiques en cours : il en est l’aspect le plus visible. Aujourd’hui, la mondialisation signifie d’autres formes de mobilité des personnes, qui affluent – pour des raisons d’emploi – vers les grands pôles urbains, ce qui pose la question de leur logement. Ce nouvel agenda du logement doit aussi beaucoup au tournant néolibéral des années 80, et plus particulièrement à la flexibilisation du travail, l’installation d’un chômage structurel et l’explosion des prix sur le marché de l’immobilier qui ne permettent pas à tout le monde de se loger ou de garder son toit.
Pour répondre au développement de ce « sans abrisme structurel », vous mettez en avant le « Housing First » (« Un logement d’abord »). En quoi cela consiste-t-il ?
Le principe du Housing First est simple : il s’agit de sortir de la rue une personne sans domicile fixe en lui remettant directement les clés d’un logement, semblable à celui de tout autre citoyen. Et cela – c’est important –, sans exiger au préalable la fin de comportements réprouvés (consommation d’alcool ou de stupéfiants, par exemple) ou des conditions comme l’existence d’un revenu minimum ou d’un casier judiciaire vierge. Sa principale caractéristique est donc l’inconditionnalité. Il faut cesser de balader les SDF de centre d’hébergement en centre d’hébergement. Cette politique de simple mise à l’abri les maintient dans la précarité. L’inconditionnalité de l’aide ne signifie pas que ses bénéficiaires sont livrés à eux-mêmes. Un accompagnement par une équipe pluridisciplinaire de médecins et d’assistants sociaux est mis à leur disposition. Enfin, cette inconditionnalité permet d’éviter la multiplication des acteurs institutionnels et des démarches administratives. (...)
A long terme, le programme ne représente pas de coût supplémentaire pour la collectivité. Il peut faire économiser d’autres formes de dépenses générées par le sans-abrisme, telles que les interventions répétées des services sociaux, médicaux ou de police. Mais il faut être prudent. A ce stade, c’est surtout la multiplication des expérimentations du Housing First qui est la preuve de son intérêt. Son impact à long terme doit continuer à être examiné. (...)
Dans notre rapport, nous dressons un parallèle entre le Housing First, qui met à disposition des logements, et le Give Directly, qui met à disposition une somme d’argent à une population ciblée caractérisée par son exposition à la pauvreté. D’abord financée par des fondations et des sociétés privées, l’ONG Give Directly est intervenue notamment au Kenya, où les expérimentations menées se sont approchées de l’allocation universelle. Comme pour le Housing First, ses principes fondateurs sont l’inconditionnalité de l’aide et la responsabilisation individuelle, qui permettent de sortir des formes stéréotypées d’assistance. L’ONG a réduit les coûts de fonctionnement, en se basant sur l’utilisation d’un réseau de téléphones mobiles plutôt que par la mise en place de nouveaux guichets ou l’utilisation d’intermédiaires locaux. L’allégement administratif est donc bien au cœur de cette politique qui cherche à réduire les coûts et améliorer l’efficacité.
L’expérimentation du « Give Directly » a été financée par des entreprises privées capitalistes (Google, Microsoft). Est-ce compatible avec une approche progressiste des politiques de lutte contre l’exclusion ?
Je vous propose de retenir, à ce stade, moins cette question du financement que celle de l’initiative. Le secteur public et la gauche n’ont pas le monopole de l’imagination politique et sociale. (...)