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Reporterre
Le Brésil est toujours en flammes, mais la police harcèle les écolos
Article mis en ligne le 9 décembre 2019
dernière modification le 7 décembre 2019

Arrêtés pour motifs fallacieux, emprisonnés, privés de leurs passeports et même tondus... En Amazonie brésilienne, membres d’ONG ou pompiers bénévoles sont harcelés par la police. Les feux, eux, brûlent toujours.

« Nous avons été traités comme des criminels. Les officiers nous ont empêchés de nous déplacer dans notre bureau, ils ont pris nos affaires et ils ont presque arrêté l’un de nos employés qui essayait de comprendre ce qui se passait », dit M. Lima à Reporterre.
Des pompiers bénévoles ont été accusés d’avoir provoqué les incendies qu’ils combattent

Le même matin, quatre pompiers volontaires de la Brigada de Alter do Chão, eux-aussi à Santarém, ont été arrêtés et accusés d’avoir commis le crime qu’eux-mêmes combattaient : les incendies dans la forêt amazonienne. Parmi eux, un employé de l’ONG Saúde e Alegria. Pourquoi auraient-ils provoqué ces incendies, selon la police ? Pour prendre des photos des scènes de lutte contre l’incendie et ainsi collecter des fonds auprès des ONG telles que l’organisation mondiale de protection de l’environnement WWF. Des courts extraits d’écoute téléphonique ont été présentés comme preuves. (...)

La fragilité des accusations et les répercussions internationales de l’affaire ont permis aux quatre volontaires d’être libérés 72 heures après leur arrestation. Cependant, c’est loin d’être une fin heureuse. João Romano (que Reporterre avait interviewé en septembre au sujet des incendies), Daniel Gutierrez Govino, Marcelo Aron Cwerver et Gustavo de Almeida Fernandes sont toujours en liberté provisoire, ce qui signifie qu’ils ont dû remettre leurs passeports aux autorités et qu’ils ne peuvent pas quitter la ville. De plus, ils sont obligés de rester chez eux la nuit et les jours de congé jusqu’à ce que la procédure pénale soit terminée.

Pendant leur incarcération, les quatre hommes ont été tondus. Lors d’une conférence de presse le 1er décembre, M. Romano a déclaré que ce geste l’avait bouleversé — il ne s’était pas coupé les cheveux depuis deux ans. « C’était très dur pour moi, je ne savais pas si ma fille qui a dix mois me reconnaîtrait », a-t-il dit avec émotion. (...)

Les quatre volontaires ont également déclaré lors de la conférence de presse qu’ils collaboraient depuis septembre avec la police dans des enquêtes sur les incendies. Ils n’ont jamais été informés qu’ils étaient soupçonnés du crime. (...)

« Nous avons collaboré et tout à coup nous avons été menottés et emmenés en prison. C’était comme un film, une fiction. C’était révoltant de se rendre compte que nous étions suspectés d’avoir fait le contraire de ce que nous croyons », a dit M. Cwerver.

Pourquoi la police a-t-elle agi de la sorte ? Un message audio publié le 1er décembre par nos confrères de Reporter Brasil apporte un indice : dans l’enregistrement réalisé en septembre, le maire de Santarém, Nélio Aguiar, raconte au gouverneur de l’État du Pará, Helder Barbalho, que l’incendie à Alter do Chão a été causé par « des personnes qui ont mis le feu à la forêt pour ensuite vendre le terrain à l’immobilier et ce sont des gens qui ont le soutien de la police ». Interrogé par Reporter Brasil, le maire confirme qu’il a envoyé ce message audio au gouverneur, mais essaye d’adoucir ses mots (...)

Le procureur de l’État du Pará a déclaré qu’il n’y a aucune preuve que des ONG ou des bénévoles aient participé à des crimes contre l’environnement et a ajouté que l’accaparement de terres est une des raisons invoquées pour expliquer la dégradation de l’environnement à Alter do Chão.
Une plainte a été déposée contre le président Bolsonaro pour « incitation au génocide et attaques systématiques contre les peuples autochtones »

Des dizaines d’organisations se sont prononcées contre les arrestations et les poursuites contre les bénévoles et l’ONG Saúde e Alegria. Parmi elles figure Amnesty International, qui, le jour-même des arrestations, avait publié un rapport sur les relations entre la déforestation et les violations des droits humain en Amazonie. (...)

Dans quatre des cinq zones visitées par Amnesty International, l’accaparement illégal de terres s’accompagnait de menaces et d’actes d’intimidation contre ceux qui s’y opposaient, notamment les peuples autochtones, les habitants de réserves extractives et les responsables gouvernementaux chargés de la protection de l’environnement et des terres indigènes.

Des faits tels que ceux rapportés par Amnesty International ont incité les organisations de défense des droits humains du Brésil à déposer une plainte contre le président Jair Bolsonaro devant la Cour internationale de justice à Haye, réclamant une « enquête préliminaire » sur les actions du président pour « incitation au génocide et attaques systématiques contre les peuples autochtones ». Fatou Bensouda, procureur au tribunal international, va maintenant demander des informations aux gouvernements des États du Brésil et d’autres pays, aux Nations Unies, à d’autres organisations intergouvernementales, à des ONG et à d’autres sources pour décider s’il doit demander une autorisation d’ouvrir une enquête.

Alors que toute cette histoire kafkaïenne se poursuit, la forêt ne cesse de brûler. Depuis l’article publié par Reporterre fin septembre, le nombre de départs de feu dans tout le Brésil a augmenté de 35 %. L’Amazonie concentre près de 50 % des cas. Tout cela sans l’aide d’aucune star d’Hollywood.