
Un scénario du passage en force de la réforme des retraites et de la défaite du mouvement social est-il en train de se dessiner, à l’image de ce qui s’est passé en 2010 ? L’histoire serait-elle vouée à se répéter ? Les révoltés d’un jour sont-ils condamnés à être les vaincus de toujours ? La stratégie unitaire de l’intersyndicale est-elle la bonne ?
Les questions de cette nature se multiplient sur les listes de messagerie syndicales, les réseaux sociaux et plus largement dans l’esprit des très nombreuses personnes mobilisées contre la réforme la plus massivement rejetée par la population depuis au moins 50 ans. C’est que, depuis une semaine au moins, une petite musique dans les médias mainstream accompagne les paroles syndicales : les manifestants sont résignés, ils savent que la réforme passera. Quand Laurent Berger met en apposition dans une même phrase « blocage » et « violence », ne doit-on pas craindre une « retraite en rase campagne » ? (...)
Le paradoxe auquel nous confronte ce mouvement social pourrait être formulé ainsi : jamais une réforme n’a été aussi unanimement contestée et pourtant jamais l’espoir que le mouvement de contestation soit victorieux n’a été aussi ténu. Le fatalisme et la résignation semblent aussi forts que la colère. Les raisons de ce paradoxe sont multiples. (...)
Rien ni personne n’a pu encore arrêter cette logique de destruction des acquis sociaux, pas même le mouvement des Gilets jaunes qui était pourtant proche de faire vaciller le pouvoir. La troisième cause de ce paradoxe pourrait très bien être la stratégie choisie par l’intersyndicale. Celle-ci suscite de plus en plus de doutes et d’inquiétude. L’intersyndicale ne serait-elle pas devenue l’otage des centrales réformistes, CFDT en tête ? (...)
Appeler à une journée unique le 15 mars – un mercredi signifie une mobilisation mécaniquement très faible dans le secteur de l’éducation – ressemble à un enterrement de première. Pourquoi n’avoir pas appelé a minima au 15, jour de la Commission mixte paritaire (CMP), et au 16, jour du vote de la loi dans les deux assemblées ? C’est que l’intersyndicale, qui reste sous la coupe des réformistes pour préserver son unité, ignore tout simplement la règle de la proportionnalité des moyens d’action à la violence que l’Etat exerce sur tout le corps social et sa représentation. On n’arrête pas un rouleau compresseur avec des fleurs. On l’arrête en le privant de son carburant. Si on gagnait un mouvement social avec seulement des manifestations épisodiques, ça se saurait ! (...)
l’extrême droite a encore prospéré grâce à Macron. Il est de la responsabilité des organisations syndicales de ne pas y contribuer davantage par une retraite en rase campagne qui ajouterait le ressentiment envers certaines centrales syndicales à l’écœurement général à l’endroit des politiques. (...)
Macron ne s’arrêtera pas si on ne l’arrête pas. (...)
Laurent Berger a dit ce midi : « On n’est pas dans une guerre ». Il se trompe lourdement. Il ne veut pas non plus « que le mépris se transforme en colère ». La colère est déjà là, immense. Elle doit pouvoir s’exprimer. Le rôle des syndicats n’est pas de la contenir ou de la réprimer. Laurent Berger a dit : « La grève reconductible, c’est une vue de l’esprit ». Non, Laurent Berger, la grève reconductible, ça se prépare et ça se construit. Comme les blocages des entreprises et l’arrêt de l’économie. Car plus personne n’ignore qu’on n’arrêtera pas Macron sans toucher à ceux qui l’ont porté au pouvoir : les milieux d’affaire et les entreprises du Cac 40, qui font aujourd’hui des profits si vertigineux qu’ils pourraient financer nos retraites pendant de longues années. La colère dépasse de loin la seule réforme des retraites. Il revient aussi aux syndicats d’en prendre toute la mesure.