
Le 14 janvier 2014, le vote à l’arraché par le parlement ukrainien, d’un arsenal de lois extrêmement répressives, marque un tournant dans la crise politique qui affecte le pays depuis novembre |1|. Des affrontements de rue et plusieurs morts ouvrent une dynamique imprévisible.
Alors que le PC ukrainien (membre de la coalition au pouvoir – 14 % de sièges) préconise un référendum sur les choix internationaux de l’Ukraine, un bras de fer oppose le Parti des régions du président (majorité parlementaire de 33,27 %), qui prend un cours répressif et une opposition qui réclame, comme les manifestants, sa démission – sans autre programme alternatif et cohérence que cet objectif.
Quels sont les enjeux sous-jacents ? (...)
En pleine crise politique, en décembre, l’envol du président ukrainien Ianoukovitch vers la Chine, avant qu’il ne se rende en Russie a été peu souligné : les accords croissants noués avec Pékin visent à atténuer les dépendances de l’Ukraine envers sa “troïka” – UE, FMI et Russie.
Les manifestants de “l’Euro-Maïdan”, qui ont établi leurs campements depuis novembre sur “la place” (Maïdan) de l’Indépendance, et les centaines de milliers de ceux qui les ont rejoints à plusieurs reprises, sont-ils simplement “pro-européens” comme on les décrit ? Le pouvoir en place est-il d’ailleurs “pro-russe” dans cette Ukraine profondément attachée à son indépendance et historiquement divisée entre ses régions orientale et occidentale ? (...)
On est loin d’une nouvelle “Révolution orange” qui mettait fin en 2004 au long règne d’un Léonid Koutchma (au pouvoir depuis 1993) |5| même si, hier comme aujourd’hui, c’est sur Maïdan, cette même place de l’Indépendance, que s’est exprimée de façon massive, au-delà des instrumentalisations étrangères, une réelle exaspération populaire sur arrière-plan de dégradations sociales et de rejet de la corruption.
L’égérie de la “Révolution orange” purge aujourd’hui sept ans de prison pour abus de pouvoir |6| – une justice sans doute sélective, car aucun des clans qui se succèdent au pouvoir n’est épargné par la corruption et le clientélisme. Et si, en 2004, les protestations de masse visaient la reconnaissance d’une nouvelle majorité électorale, aujourd’hui, les partis sont largement discrédités, sauf peut-être celui de l’ancien champion de boxe Vitali Klitschko, précisément parce qu’il dénonce la corruption endémique, met l’accent sur quelques enjeux sociaux et s’oppose aux violences. Comme les Indignés de Bulgarie |7|, le mouvement est à la fois critique des partis et de divers bords idéologiques, dans le contexte d’un profond brouillage des étiquettes. (...)
L’incertitude la plus grande règne sur l’évolution de la crise ouverte en Ukraine. Mais la mobilisation concernant les enjeux internationaux était bel et bien retombée début 2014 – en l’absence d’offres européennes concrètes à mettre en balance avec la besace du président ukrainien remplie de cadeaux russes : finalement, tout restait ouvert à plus long terme, puisqu’il n’y avait aucun accord conclu. Mais de part et d’autre, les accords sont empoisonnés s’ils ne sont pas soumis à un radical contrôle social et subordonné à des buts explicitement formulés par les populations concernées (...)