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La semaine de quatre jours, bonne pour l’emploi et le climat
Article mis en ligne le 24 janvier 2022
dernière modification le 23 janvier 2022

La semaine de quatre jours revient dans le débat public à la faveur d’expériences en France et à l’étranger. Entre réponse au chômage de masse, bien-être et avantages écologiques, les arguments en faveur de la réduction du temps de travail trouvent de plus en plus d’écho.

Travailler moins, gagner autant, profiter plus. Ces derniers mois, la semaine de 32 heures sur 4 jours, sans perte de salaire, a fait les gros titres des journaux en raison des nombreuses expériences conduites à l’étranger.

En Nouvelle-Zélande, en Suède, en Islande et même au Japon, des filiales de grands groupes comme Unilever ou Microsoft ainsi que de plus petites entreprises se sont momentanément essayés, avec le soutien de leurs gouvernements, à la semaine de quatre jours. À partir de 2022 et pendant trois ans, ce sera au tour de 200 entreprises espagnoles de tenter l’aventure. Pour accompagner le passage aux 32 heures (contre 40 aujourd’hui), les volontaires bénéficieront d’une aide financière étatique.
À gauche, la fin d’un tabou ?

« En France, la réduction du temps de travail était un sujet tabou depuis les lois Aubry sur les 35 heures [votées en 1998 et en 2000] Aujourd’hui, il revient petit à petit dans le débat public », se réjouit Pierre Larrouturou, député européen, candidat à la Primaire populaire et militant de la première heure pour cette nouvelle organisation du travail. De la semaine de 28 heures revendiquée par le Nouveau parti anticapitaliste à la semaine de 32 heures défendue par la France Insoumise et EELV, la quasi-totalité des partis classés à gauche remettent la question du temps passé à travailler au centre du jeu politique. (...)

Au regard des expériences déjà conduites, Pierre Larrouturou estime que le passage à la semaine de 32 heures permettrait de créer 1,6 million d’emplois [2]. Si le bilan des 35 heures reste l’objet d’un âpre conflit entre économistes, une étude de l’Inspection générale des affaires sociales dévoilée en 2016 concluait que le passage aux 35 heures avait entraîné la création de 350 000 emplois entre 1998 et 2002.

Malgré la méfiance historique du patronat envers la réduction du temps de travail — la baisse du chômage qui pourrait en découler redéfinirait le rapport de force entre employeurs et salariés en faveur de ces derniers —, la semaine de quatre jours a eu, un temps, son heure de gloire en France.
400 entreprises à 4 jours

La loi Robien, promulguée en 1996 sous une majorité de droite libérale, a créé un dispositif permettant aux entreprises, par le biais d’une convention collective, de réduire le temps de travail de leurs salariés en vue d’effectuer de nouvelles embauches. Si elle gonflait ses effectifs de plus de 10 %, l’entreprise se voyait exonérée de cotisations chômage. (...)

Ce fut le cas d’Yprema, PME de recyclage industriel qui compte une dizaine de sites en France.

Depuis 25 ans, les salariés y travaillent 8 h 45 pendant les quatre jours de leur choix. « C’est quelque chose d’inhérent à notre fonctionnement. On ne pense pas une seule seconde à reprendre l’ancien système », assure aujourd’hui Susana Mendes, secrétaire générale de la boite. C’est même tout l’inverse. En 2022, l’entreprise, en plein essor économique, franchira un nouveau cap en passant aux 32 heures, sans perte de salaire. (...)

Yprema compte parmi les rares entreprises qui continuent à appliquer les « accords Robien ». La plupart des sociétés en ayant bénéficié ont rebroussé chemin quelques années plus tard, du fait de la non-reconduction des accords, la loi qui les encadrait ayant été abrogée par la première loi Aubry, en 1998.

Pourtant, à en croire Claude Prigent, le directeur et cofondateur d’Yprema, les avantages d’une telle organisation du travail sont multiples. Le salarié, avec un jour de repos supplémentaire, en est le premier gagnant mais l’entreprise y trouve aussi son compte. (...)

Doublement du personnel

En outre, le cadre de travail se trouve amélioré par la diversification des tâches. Tous les salariés sont formés à au moins deux activités différentes et travaillent en binôme, afin que l’un remplace l’autre le cinquième jour. À en croire ses cadres, la nouvelle organisation du travail explique en partie le doublement du personnel de la PME. Elle comptait 42 salariés en 1997 contre 90 aujourd’hui.

Ces échos positifs, on les retrouve aussi dans la bouche de Laurent de la Clergerie, chef d’entreprise qui a donné son nom à LDLC, société de commerce en ligne basée à Lyon comptant 800 salariés. (...)

Un constat confirmé par ses employés. « Ça nous change la vie. On peut vraiment profiter de nos week-ends en priorisant les jours off pour nos rendez-vous. On a le temps de faire de nouvelles activités associatives ou sportives et on est gagnants sur le plan financier. Pourant, franchement, quand on nous a proposé ce fonctionnement, on est tombé des nues », se souvient Sandrine Legay, élue CGT au CSE de l’entreprise.

À l’image des études conduites à l’étranger, les expériences françaises ne sont pas unanimes sur l’impact sur l’emploi. Si Yprema se targue d’avoir embauché, le président de LDLC assure « n’avoir eu besoin d’aucune main d’œuvre supplémentaire ». En revanche, la grande majorité des retours d’expériences attestent de l’impact nul voire positif sur les gains de productivité et de la diminution du stress ainsi que des risques d’épuisement professionnel.
Moins travailler, une pratique écolo

Plus récemment, l’argument écologique est venu renforcer les convictions des défenseurs de la réduction du temps de travail. (...)

En cause, les « économies d’énergie » liées à l’absence du personnel dans les bureaux, la « réduction des déplacements » mais aussi l’utilisation de ce temps libre à des fins moins émettrices comme « la vie en famille », la « cuisine à la maison », le « jardinage », ou encore le « volontariat local ».

Pour en arriver à ces données, l’association a croisé les nombreuses études universitaires et sondages déjà réalisés sur ces questions. (...)

Une proposition évoquée à la Convention citoyenne pour le climat

L’argument écologique en faveur de la réduction du temps de travail est même sorti des rangs universitaires pour émerger au sein de la Convention citoyenne pour le climat. (...)

L’idée, qui a fait l’objet de vifs débats a néanmoins été refusée par deux tiers des votants. « Certains craignaient que ça ne bouleverse trop nos modes de vie, d’autres que ce ne soit pas une mesure écologiste en se disant que les gens profiteraient de leurs week-ends de trois jours pour partir en voyage en avion et consommer plus », se rappelle Rémy Dufour.

Pour Erwan Dagorne, médiateur à la Convention citoyenne, c’est surtout le parcours de cette idée au sein de la Convention qui est parlant : « La proposition n’était pas portée par des intervenants extérieurs. Elle a vraiment émané d’une poignée de citoyens. Elle a été très vite mise de côté pour revenir sur la table quelques séances plus tard et être, au final, très discutée. Les membres de la Convention étaient majoritairement sceptiques mais ont reconnu l’intérêt d’en faire un sujet de débat. »